Georges Pompidou (1911-1974) est un homme d’État français qui fut Premier ministre du général de Gaulle de 1962 à 1968, puis président de la République française de 1969 à 1974. Figure majeure de la Ve République, il a marqué l’histoire contemporaine par son rôle dans la modernisation économique de la France, son action culturelle audacieuse (notamment la création du Centre Pompidou) et son engagement européen. Cette biographie de Georges Pompidou retrace son parcours, de son enfance dans le Cantal à son ascension au sommet de l’État, en passant par ses années d’enseignant, de haut fonctionnaire et de fidèle du général de Gaulle.
Enfance et formation
Georges Jean-Raymond Pompidou naît le 5 juillet 1911 à Montboudif, un petit village du Cantal, au cœur du Massif central. Issu d’un milieu modeste mais instruit – son père Léon Pompidou est instituteur puis professeur, et sa mère Marie-Louise Chavagnac est institutrice – il grandit dans une famille d’enseignants attachés aux valeurs républicaines. Petit-fils de paysans, il incarne dès son jeune âge la méritocratie républicaine qui permet à un enfant de province d’accéder à l’élite.
Dès l’école, Georges Pompidou se distingue par ses brillantes aptitudes intellectuelles. Il effectue sa scolarité primaire et secondaire à Albi, où son père avait été nommé, et y obtient d’excellents résultats. Après le baccalauréat, il part à Toulouse pour préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure (ENS). Il rejoint ensuite les classes préparatoires du lycée Louis-le-Grand à Paris, où il se familiarise avec la culture classique et rencontre des condisciples qui marqueront sa vie, comme Léopold Sédar Senghor. En 1931, il réussit le concours et intègre l’ENS Ulm, découvrant la vie intellectuelle parisienne effervescente des années 1930.
Parcours académique (ENS, agrégation de lettres)
Au sein de la prestigieuse École normale, Georges Pompidou approfondit sa formation littéraire. Esprit curieux et travailleur acharné, il réussit brillamment l’agrégation de lettres en 1934, dont il sort major (premier de sa promotion). Parallèlement, il obtient un diplôme de l’École libre des sciences politiques (Sciences Po), témoignant de son intérêt égal pour la littérature et les affaires publiques. Ce double succès académique illustre la polyvalence du jeune homme, à la fois agrégé de lettres classiques et fin connaisseur de la chose politique.
En 1935, après avoir accompli son service militaire comme officier de réserve à Clermont-Ferrand, Georges Pompidou entame une carrière dans l’enseignement. Il se marie (avec Claude Cahour, qu’il a rencontrée en 1938) et est nommé professeur de lettres au lycée Saint-Charles de Marseille. Trois ans plus tard, en 1939, il réintègre la capitale en devenant professeur de littérature au lycée Henri-IV à Paris, l’un des plus grands établissements secondaires du pays.
Carrière dans l’enseignement et la haute fonction publique
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Georges Pompidou est mobilisé en 1939 comme lieutenant au 141^e régiment d’infanterie alpine. Du fait de sa connaissance de l’allemand, il sert comme officier de renseignement et participe à la campagne de France en 1940, ce qui lui vaut la Croix de guerre. Après l’armistice et la démobilisation, il retrouve son poste de professeur à Henri-IV, où il enseigne en classes préparatoires (hypokhâgne) pendant l’Occupation. Il se tient alors en retrait de la politique, se consacrant à la culture : il participe à une édition critique de Britannicus de Racine et rédige même des ébauches de scénarios, témoin de son goût pour la littérature et les arts.
La Libération en 1944 marque un tournant dans sa vie publique. Grâce à son ancien camarade de l’ENS René Brouillet, il entre au cabinet du général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire, dès septembre 1944. Chargé des questions d’éducation et de politique intérieure, ce « normalien qui sait écrire » – selon les mots attribués à de Gaulle – gagne la confiance du Général. Après la démission de de Gaulle en janvier 1946, Pompidou continue sa carrière dans la haute fonction publique : il est nommé maître des requêtes au Conseil d’État en 1946 et devient l’adjoint du commissaire général au Tourisme, Henri Ingrand, où il contribue à la promotion de la France dans l’après-guerre.
Bien qu’il n’adhère pas formellement au Rassemblement du Peuple Français (RPF), le mouvement gaulliste fondé en 1947, Georges Pompidou demeure proche de la sphère gaulliste naissante. Il participe au comité d’études national présidé par Gaston Palewski et prend en 1948 la direction du cabinet du général de Gaulle, alors retiré de la vie politique active. Durant cinq ans (1948-1953), il est le chef de cabinet du Général, gérant ses affaires courantes et préservant le lien entre de Gaulle et ses fidèles. Parallèlement, il assure le secrétariat général de la Fondation Anne-de-Gaulle, dédié aux enfants handicapés, témoignant de son dévouement aux causes sociales.
En 1953, Pompidou opère un premier virage vers le secteur privé : il est recruté à la banque Rothschild en tant que fondé de pouvoir, puis promu rapidement directeur général. Durant cinq années à la banque (1954-1958), il acquiert une solide expérience des milieux économiques et financiers, siégeant au conseil d’administration de diverses entreprises. Cette immersion dans le monde des affaires élargit ses compétences et son carnet d’adresses, tout en lui laissant le temps de satisfaire sa fibre culturelle : malgré une vie professionnelle chargée, il publie dans ces années des textes de présentation d’œuvres littéraires et commence à réunir les poèmes de ce qui deviendra plus tard son Anthologie de la poésie française.
Rôle auprès du général de Gaulle dans les années 1950 et 1960
Le retour de Charles de Gaulle au pouvoir en mai 1958 rappelle Georges Pompidou aux affaires publiques de premier plan. Pendant la crise qui précède l’avènement de la Ve République, le dernier président du Conseil de la IV^e République (de Gaulle lui-même) fait appel à Pompidou pour organiser la transition. De juin 1958 à janvier 1959, Pompidou occupe ainsi le poste stratégique de directeur de cabinet du Chef du gouvernement. À ce titre, il joue un rôle décisif dans l’élaboration de la nouvelle Constitution de la Ve République et soutient activement les réformes économiques et monétaires entreprises pendant cette période de refondation institutionnelle.
En mars 1959, à 47 ans, il est nommé membre du Conseil constitutionnel par le général de Gaulle, qui souhaite s’entourer d’hommes de confiance pour veiller au respect de la jeune Constitution. Pompidou siégera à cette haute instance jusqu’en 1962. Parallèlement, il reste un conseiller écouté de de Gaulle. Celui-ci n’hésite pas à lui confier des missions sensibles : en 1961, Georges Pompidou mène discrètement des négociations préliminaires avec les émissaires du Front de Libération Nationale (FLN) algérien en Suisse, afin de préparer les pourparlers de paix d’Évian. Sa connaissance du dossier saharien et son passé dans l’industrie pétrolière (via la banque Rothschild) font de lui un interlocuteur clé dans ces discussions sur l’avenir de l’Algérie française.
La réussite des accords d’Évian en 1962, mettant fin à la guerre d’Algérie, conforte la position de Georges Pompidou auprès du Général. Fort de la confiance du chef de l’État, il est choisi quelques semaines plus tard pour occuper la fonction de Premier ministre, malgré le fait qu’il soit encore peu connu du grand public. Cette nomination, effective le 14 avril 1962, le fait passer de l’ombre à la lumière : l’artisan discret de l’État gaullien devient un personnage de premier plan de la vie politique française.
Premier ministre sous de Gaulle (1962-1968)
Arrivé à Matignon en avril 1962 en tant que Premier ministre du général de Gaulle, Georges Pompidou s’attelle immédiatement à la tâche de moderniser la France des années 1960. L’un de ses premiers défis est institutionnel : en octobre 1962, le gouvernement Pompidou est renversé par une motion de censure de l’Assemblée nationale, consécutive à la décision de de Gaulle de soumettre par référendum l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Ce camouflet politique est de courte durée : de Gaulle dissout la Chambre, gagne le référendum, et renomme aussitôt Pompidou à Matignon, confirmant ainsi la confiance qu’il lui porte. Dès lors, Pompidou va demeurer Premier ministre sans discontinuer jusqu’en 1968, un record de longévité sous la Ve République (plus de six ans de fonction).
Sur le plan économique et social, Georges Pompidou s’impose comme le maître d’œuvre du « rétablissement de la France dans son rang et de sa modernisation ». Profitant de la forte croissance des Trente Glorieuses, il supervise d’ambitieuses réformes structurelles. Il œuvre à la mise en place de la force de dissuasion nucléaire voulue par de Gaulle, consolide la modernisation de l’agriculture dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) européenne, et soutient le développement d’industries de pointe. Sous son gouvernement, la France lance par exemple le Plan Calcul pour se doter d’une informatique nationale, poursuit le programme aéronautique du Concorde, investit dans l’énergie (nucléaire civil) et la sidérurgie, tout en amorçant la conquête spatiale. Pompidou impulse également un grand plan d’aménagement du territoire afin de désengorger Paris et de développer les régions, symbole de son souci d’équilibrer la croissance sur l’ensemble du pays.
Sur le plan culturel, ce lettré devenu homme d’État appuie sans réserve l’action d’André Malraux, ministre des Affaires culturelles, notamment pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine architectural urbain. Lui-même grand amateur d’art moderne, il ne cache pas son goût pour l’art contemporain, préfigurant déjà le rôle qu’il jouera plus tard dans la création d’un musée d’art moderne à Paris. Sa passion pour l’automobile est également notoire : Pompidou estime que le progrès technique, symbolisé par la voiture, doit profiter au plus grand nombre. Il supervise ainsi le développement des infrastructures routières, comme l’autoroute Périphérique de Paris dont il accélère l’achèvement en 1973, et l’aménagement des berges de Seine (la voie express qui porte aujourd’hui son nom a été inaugurée dès 1967).
Malgré quelques conflits sociaux précurseurs (grève des mineurs en 1963, mouvements syndicaux ponctuels), la France de Pompidou connaît durant la majeure partie de son mandat de Premier ministre une stabilité et une prospérité notables. Cependant, le printemps 1968 va marquer son expérience gouvernementale de façon indélébile. Face à l’explosion soudaine du mécontentement étudiant puis ouvrier en mai 68, Pompidou adopte une attitude pragmatique et ouverte au dialogue. Rentré en urgence d’un voyage officiel en Afghanistan le 11 mai 1968, il prend la mesure de la gravité de la situation. Favorable à l’apaisement, il ordonne la réouverture de la Sorbonne pour calmer les étudiants et ouvre immédiatement des négociations directes avec les syndicats ouvriers. Aidé par certains de ses jeunes conseillers (Jacques Chirac, Édouard Balladur, etc.), il conduit personnellement les discussions qui aboutissent aux accords de Grenelle le 27 mai 1968, accordant des hausses de salaires et divers avantages sociaux pour mettre fin aux grèves.
Alors que le général de Gaulle s’est brièvement éclipsé pendant la crise (il s’envolera le 29 mai pour Baden-Baden, en Allemagne, afin d’y consulter le général Massu, ce qui crée un flottement à la tête de l’État), Pompidou assure quasiment seul la continuité du pouvoir durant ces heures critiques. À son retour à Paris le 30 mai, de Gaulle suit la stratégie préconisée par son Premier ministre : il annonce dans un discours radio-télévisé la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de nouvelles élections législatives. Ces élections de juin 1968 se soldent par un triomphe pour la majorité gaulliste, qui remporte une majorité absolue à l’Assemblée (294 sièges sur 485 pour l’UDR, le parti gaulliste). Ayant géré la crise avec sang-froid et évité le pire, Georges Pompidou en sort renforcé aux yeux de l’opinion.
Malgré cette réussite, la relation entre Pompidou et de Gaulle s’est refroidie pendant et après Mai 68. Le Président voit d’un mauvais œil l’assurance prise par son Premier ministre et certains désaccords stratégiques s’installent. De Gaulle projette notamment un référendum sur la « participation » (réforme du Sénat et décentralisation), auquel Pompidou est réservé. Le 10 juillet 1968, deux semaines après la victoire électorale, de Gaulle finit par se séparer de celui qui fut son plus fidèle chef de gouvernement, et nomme Maurice Couve de Murville pour le remplacer. Dans une lettre empreinte de bienveillance, il invite Pompidou à « se tenir prêt à accomplir toute mission que la Nation pourrait un jour [lui] confier », laissant ainsi entendre qu’il compte encore sur lui dans l’avenir.
Après son départ de Matignon, Georges Pompidou entame une courte « traversée du désert » politique. Redevenu simple citoyen, il se consacre à son mandat local de conseiller municipal à Cajarc (Lot) et s’installe comme député du Cantal à l’Assemblée nationale après avoir été élu en juin 1968 avec 80 % des suffrages. Officiellement écarté du pouvoir, il reste cependant en veille active (« en réserve de la République », dira-t-il) et conserve une influence en coulisses. Fin 1968, un sérieux événement personnel l’ébranle : l’affaire Markovic, du nom d’un proche de l’acteur Alain Delon assassiné, donne lieu à des rumeurs désobligeantes impliquant Claude Pompidou, son épouse, dans des fêtes licencieuses. Profondément blessé par ces calomnies, Georges Pompidou en veut à certains proches du pouvoir gaullien de ne pas avoir fait cesser ces rumeurs. Cet épisode obscurcit encore davantage ses rapports avec de Gaulle, au point de consommer leur rupture.
Élection présidentielle de 1969
Le 28 avril 1969, le général de Gaulle, ébranlé par l’échec du référendum sur la réforme du Sénat et des régions, annonce sa démission de la présidence de la République. Immédiatement, une élection présidentielle anticipée est organisée pour lui trouver un successeur. Georges Pompidou, qui avait laissé entendre quelques mois plus tôt qu’il serait candidat « le moment venu », se lance officiellement dans la course le 30 avril 1969. Soutenu par la majorité gaulliste (UDR) hormis quelques gaullistes de gauche dissidents, et rallié par les centristes indépendants comme Valéry Giscard d’Estaing, il apparaît rapidement comme le favori du scrutin. Face à lui, la gauche présentée divisée – le communiste Jacques Duclos et le socialiste Gaston Defferre faisant candidature séparée – et le centriste Alain Poher, président du Sénat assurant l’intérim à l’Elysée, semblent en position fragile.
La campagne électorale de Pompidou est active et le mène aux quatre coins de la France, où il défend son programme de « Nouvelle Société » et de poursuite de la modernisation économique, tout en se posant en héritier pragmatique du gaullisme. Le premier tour, le 1er juin 1969, le place nettement en tête avec 44,5 % des suffrages exprimés, loin devant Alain Poher (23,3 %) et Jacques Duclos (21,3 %). L’élimination des candidats de gauche permet à Pompidou de rallier une grande partie de l’électorat modéré au second tour. Le 15 juin 1969, il remporte haut la main l’élection présidentielle avec 58,2 % des voix contre 41,8 % à Poher. Georges Pompidou devient ainsi le deuxième président de la Ve République, après son mentor de Gaulle, et le premier à accéder à l’Élysée sans avoir lui-même participé à l’élaboration de la Constitution de 1958.
Présidence de Georges Pompidou (1969-1974)
Georges Pompidou est investi président de la République française le 20 juin 1969. Fidèle à la tradition gaullienne, il entend exercer la fonction suprême selon une lecture rigoureuse de la Constitution, qui fait du chef de l’État l’arbitre et le pilote de la nation. Il affirme rapidement la prééminence présidentielle dans le régime, tout en gouvernant en tandem avec le Premier ministre. Pour ce poste, Pompidou nomme Jacques Chaban-Delmas, ancienne figure de la Résistance et grand baron gaulliste, à qui il laisse lancer un ambitieux programme de réformes baptisé « Nouvelle Société ». Sous l’impulsion de Chaban-Delmas, le gouvernement crée notamment en 1970 le premier ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement, témoignant d’une sensibilité écologique naissante. Toutefois, des divergences apparaissent entre le Président et son Premier ministre, Pompidou se montrant moins enthousiaste que Chaban sur certaines réformes sociétales et sur le partage de l’influence au sommet de l’État. En juillet 1972, après trois années en poste, Chaban-Delmas démissionne à la demande du président. Pompidou le remplace par Pierre Messmer, un gaulliste de stricte observance et ancien ministre des Armées, afin de recentrer l’action gouvernementale sur des bases plus conservatrices. Messmer conduira le gouvernement jusqu’à la fin du mandat, remportant les élections législatives de mars 1973 face à une gauche réunie autour du Programme commun signé en 1972.
Sur le plan économique et social, la présidence de Georges Pompidou s’inscrit dans la continuité des Trente Glorieuses tout en préparant les mutations futures. Profitant de la croissance encore vigoureuse de la fin des années 1960, Pompidou pousse plus loin la modernisation de l’économie française. Sous son impulsion, l’État lance de grands projets industriels et technologiques : c’est l’époque de la création du consortium Airbus (1969) pour construire des avions de ligne européens, du lancement du train à grande vitesse (TGV) dont le projet démarre en 1972, ou encore de la poursuite du programme spatial et du développement de l’électronique et de l’informatique. L’État pompidolien investit massivement dans l’automobile, la sidérurgie, les télécommunications, le nucléaire civil et l’aérospatial, dans une stratégie de consolidation des « champions nationaux » de l’industrie. Sur le plan social, plusieurs avancées notables accompagnent cette modernisation économique : création en 1970 du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), qui remplace le SMIG et revalorise le pouvoir d’achat des plus modestes, mensualisation progressive des salaires ouvriers (afin que les employés soient payés tous les mois comme les cadres), développement de la participation des salariés aux fruits de l’entreprise (actionnariat ou intéressement) et extension de la protection sociale. Ces mesures visent à partager plus largement les bénéfices de la croissance et à pacifier les relations entre patronat et syndicats après les secousses de 1968.
Ardent défenseur de la culture française, Georges Pompidou marque de son empreinte la politique culturelle du pays. Grand amateur d’art contemporain et de littérature, il souhaite rendre la culture accessible à tous les Français et encourager la création. C’est dans cet esprit qu’il décide en 1971 de la création à Paris d’un vaste centre dédié à l’art moderne et à la culture. Ce projet visionnaire aboutira, quelques années après sa mort, à l’inauguration du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou en 1977, plus connu sous le nom de Centre Pompidou, en plein cœur de la capitale. L’ouverture de ce lieu culturel polyvalent (musée d’art moderne, bibliothèque publique, centre de création musicale) révolutionne l’accès à l’art contemporain en France et consacre la vision culturelle de Pompidou, qui voulait décloisonner les arts et les faire dialoguer avec le grand public. Son nom est ainsi aujourd’hui indissociable de ce haut lieu de la culture, dont la renommée internationale contribue au rayonnement de la France.
En matière de politique étrangère, le président Pompidou poursuit la ligne définie par de Gaulle tout en l’adaptant au nouveau contexte des années 1970. Son maître-mot reste l’indépendance nationale, mais il l’accommode d’un pragmatisme assumé. Ainsi, il cherche à réchauffer les relations franco-américaines, quelque peu fraîchies à la fin de l’ère gaullienne. Pompidou accueille en grande pompe le président Richard Nixon à Paris en 1969, puis se rend lui-même aux États-Unis en février 1970, prononçant à Chicago un discours où il évoque « les devoirs de solidarité qu’implique la sauvegarde de la maison commune des hommes ». Ce discours préfigure la coopération franco-américaine sur les enjeux planétaires et la création du ministère de l’Environnement la même année. Parallèlement, Pompidou maintient une relation étroite avec l’Union soviétique de Léonid Brejnev, poursuivant la politique de détente et de coopération économique initiée dans les années 1960. Il multiplie les rencontres bilatérales avec les dirigeants de l’Est, convaincu que le dialogue Est-Ouest peut prévenir les conflits dans le contexte tendu de la guerre froide.
Surtout, Georges Pompidou restera comme le président qui a relancé la construction européenne. Dès décembre 1969, il organise à La Haye un sommet historique des six pays de la Communauté économique européenne (CEE). Ce sommet fixe trois objectifs, résumés par Pompidou lui-même en « achèvement, approfondissement, élargissement » de l’Europe. L’« achèvement » concerne la finalisation du marché commun et le règlement de la question du financement de la PAC, l’« approfondissement » vise à renforcer les coopérations politiques (ce qui préfigurera la création du Conseil européen), et l’« élargissement » ouvre la voie à l’adhésion de nouveaux membres. Grâce à l’impulsion de Pompidou, la Grande-Bretagne, autrefois refusée par de Gaulle, est admise au sein de la CEE en 1973 aux côtés de l’Irlande et du Danemark. Ce élargissement à l’Europe du Nord transforme la Communauté en Europe des Neuf. En parallèle, Pompidou soutient la mise en place du « serpent monétaire européen », premier mécanisme de stabilisation des taux de change entre monnaies européennes, prélude de la future monnaie unique.
Crise pétrolière et tournant économique
Au tournant de 1973, l’embellie économique qui avait accompagné la présidence Pompidou prend fin brutalement. En octobre 1973, la guerre du Kippour au Proche-Orient provoque un choc pétrolier mondial : les pays de l’OPEP augmentent drastiquement le prix du baril et décrètent un embargo sur les livraisons de brut aux pays soutenant Israël. Bien que la France ne soit pas visée par l’embargo en raison de sa politique pro-arabe, elle subit de plein fouet les conséquences de la flambée des prix pétroliers. Les effets sont immédiats : le coût de l’énergie explose, l’inflation réaccélère, la croissance économique marque le pas après plus de deux décennies de hausse ininterrompue. Georges Pompidou, conscient de l’ampleur de la crise qui s’annonce, cherche à adapter la stratégie économique du pays. Son gouvernement lance un plan massif de développement du programme nucléaire civil (dit « plan Messmer » en mars 1974) pour réduire la dépendance aux hydrocarbures, et encourage la sobriété énergétique. Sur le plan diplomatique, Pompidou plaide pour une réponse européenne concertée au premier choc pétrolier : il voit dans l’Europe à Neuf un moyen de rééquilibrer le rapport de forces face aux États-Unis et aux pays producteurs de pétrole. Son dernier grand projet européen consiste à renforcer la solidarité des économies occidentales face aux défis nouveaux, comme la stagflation (stagnation de la production conjuguée à l’inflation).
Malheureusement, le président Pompidou n’aura pas le temps de voir les résultats de ces orientations. Dès l’hiver 1973-1974, son état de santé se dégrade, ce qui l’amène à ralentir son activité et à différer certains projets.
Mort prématurée et circonstances
Au début de 1974, les Français s’inquiètent de plus en plus de l’apparence affaiblie de leur président. En réalité, depuis 1972 Georges Pompidou se sait atteint de la maladie de Waldenström, une forme rare de cancer hématologique tenue secrète par l’Élysée. Les traitements lourds qu’il suit provoquent un gonflement de son visage et une grande fatigue, perceptibles lors de ses dernières apparitions publiques. Soucieux de ne pas alarmer l’opinion, Pompidou minimise ses problèmes de santé, évoquant de simples « bronchites » ou « grippes » passagères. En février 1974, contre l’avis de certains de ses proches, il va jusqu’à déclarer en conférence de presse qu’il envisage de se présenter pour un second mandat en 1976, voulant ainsi faire taire les rumeurs de démission anticipée.
Le 2 avril 1974, Georges Pompidou s'éteint subitement dans son appartement privé de l’Île Saint-Louis, à Paris, terrassé par sa maladie. Il est 21 heures lorsque le dernier soupir du président français retentit, mettant un terme prématuré à son mandat, à seulement 62 ans. La nouvelle de son décès, annoncée dans la soirée à la télévision, plonge la France dans la stupeur. Jamais depuis la guerre un chef d’État en exercice n’était mort avant la fin de son mandat : Pompidou est le seul président de la Ve République mort en fonction (et le premier depuis les présidents Sadi Carnot, Félix Faure et Paul Doumer sous la III^e République).
Conformément à ses volontés, ses funérailles se déroulent dans la plus stricte intimité. Après une cérémonie à l’église Saint-Louis-en-l’Île, Georges Pompidou est inhumé le 4 avril 1974 dans le cimetière d’Orvilliers (Yvelines), le village où il possédait une résidence de campagne, en présence de quelques parents et amis seulement. Aucune plaque ni monument funéraire ostentatoire ne vient signaler sa tombe, mais une simple dalle de pierre, selon ses souhaits. Deux jours plus tard, le 6 avril, un hommage national lui est rendu lors de funérailles solennelles à Notre-Dame de Paris en présence de dizaines de chefs d’État étrangers, scellant l’au revoir de la nation à celui qui la dirigea pendant près de cinq ans.
Sa disparition en cours de mandat ouvre une période de transition. Le président du Sénat Alain Poher assure à nouveau l’intérim à l’Élysée, comme il l’avait fait déjà en 1969, et de nouvelles élections sont organisées en mai 1974. Celles-ci portent à la présidence Valéry Giscard d’Estaing, ancien ministre de Pompidou, lequel nomme aussitôt Jacques Chirac, un protégé de Pompidou, comme Premier ministre. Ainsi, bien qu’éteint, Pompidou voit son héritage politique perpétué par la nouvelle équipe dirigeante, marquant une forme de continuité entre la « république gaullienne » et les débuts de l’après-gaullisme.
L’annonce tardive de la véritable nature de sa maladie suscite par ailleurs un vif débat en France sur la transparence de la santé des chefs d’État. Après le choc de cette dissimulation, il sera admis par la classe politique que les futurs présidents devront informer régulièrement les citoyens de leur état de santé, même si cette résolution ne sera pas toujours respectée par ses successeurs.
Héritage institutionnel, culturel et mémoriel
Cinquième Premier ministre de la Ve République puis président de la République, Georges Pompidou a laissé un double héritage à la France. Sur le plan institutionnel, il a consolidé la Ve République après le long règne du général de Gaulle, en prouvant que le régime pouvait lui survivre et s’inscrire dans la durée. Son septennat inachevé aura été marqué par une lecture gaullienne du rôle présidentiel : Pompidou a maintenu une position dominante du chef de l’État dans la conduite des affaires, présidant au Conseil des ministres et orientant directement les choix stratégiques de la nation. Toutefois, il a dû composer avec une société en mutation et des alliés politiques moins monolithiques qu’à l’époque du général, préfigurant ainsi l’évolution vers un exercice du pouvoir plus collégial.
Sur le plan économique, Georges Pompidou reste associé à l’idée de modernisation et de volontarisme industriel. S’inscrivant dans la continuité des Trente Glorieuses, son action a contribué à transformer l’économie française en la faisant entrer dans l’ère de la haute technologie et de la consommation de masse. Il a incarné la confiance dans le progrès et la capacité de l’État à orienter l’industrie, modèle qui perdurera en France bien au-delà des années 1970. Son nom reste d’ailleurs attaché à plusieurs infrastructures routières et industrielles symboliques de cette époque d’essor (telle la voie Georges-Pompidou à Paris).
L’héritage culturel de Pompidou est sans doute celui qui frappe le plus l’imaginaire collectif. Grand amoureux des arts, il a légué à la postérité le Centre Pompidou, institution culturelle phare inaugurée en 1977 qui porte son nom et a radicalement transformé le paysage muséal parisien. Ce Centre national d’art et de culture, installé dans un bâtiment à l’architecture révolutionnaire en plein Marais, demeure aujourd’hui l’un des musées d’art moderne et contemporain les plus importants au monde. Son concept a été étendu avec succès en région (Centre Pompidou-Metz) et même à l’étranger (des antennes portant le nom Pompidou existent à Malaga, Bruxelles, Shanghai, etc.), répandant le nom de Georges Pompidou bien au-delà des frontières de la France. Par son action, il a ainsi contribué à démocratiser la culture et à faire entrer la France dans la modernité artistique.
Mémoriellement, Georges Pompidou est souvent décrit comme le président de la modernisation heureuse, celui qui a su marier l’héritage du gaullisme avec la poursuite de la croissance et de l’ouverture au monde. Sa personnalité, moins militaire que celle de son illustre prédécesseur, était celle d’un agrégé de lettres érudit, amateur de Saint-John Perse et de Baudelaire, dont la culture était vantée par tous. Cette image de « président lettré » a durablement marqué la mémoire nationale. Pompidou a notamment publié en 1961 une Anthologie de la poésie française qui fut un succès de librairie et révèle l’étendue de ses goûts littéraires, du Moyen Âge au XX^e siècle. Il reste à ce jour l’un des rares chefs d’État contemporains dont le nom est associé à une œuvre littéraire de référence.
Enfin, de nombreuses institutions et lieux pérennisent son souvenir : outre le Centre Pompidou et le musée Georges-Pompidou de Montboudif, on peut citer l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris ou la Fondation Georges Pompidou (Institut Pompidou) qui conserve ses archives et promeut l’étude de son action. En 2024, la France a célébré le cinquantenaire de sa disparition : expositions, documentaires et colloques ont été organisés pour redécouvrir l’œuvre de cet homme d’État, soulignant à quel point Georges Pompidou a incarné la méritocratie républicaine et la modernisation de la France au XX^e siècle.
Date | Événement |
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5 juillet 1911 | Naissance de Georges Pompidou à Montboudif (Cantal). |
1931 | Entrée à l’École normale supérieure (Ulm) de Paris. |
1934 | Réussit l’agrégation de lettres (reçu major). |
1935-1937 | Service militaire puis mariage avec Claude Cahour (1935). Enseigne au lycée de Marseille. |
1939-1940 | Mobilisation pendant la Seconde Guerre mondiale (campagne de France), Croix de guerre obtenue. Retour à l’enseignement à Paris en 1940. |
Sept. 1944 | Entrée au cabinet du général de Gaulle (chef du Gouvernement provisoire). |
1946 | Nomination au Conseil d’État (maître des requêtes). |
1948-1953 | Directeur de cabinet du général de Gaulle, alors en retraite politique. |
1954-1958 | Directeur général à la banque Rothschild. |
1958 | Retour de de Gaulle : Pompidou dirige son cabinet (juin 1958 – janv. 1959) et participe à la rédaction de la Constitution. |
1959-1962 | Membre du Conseil constitutionnel. Mission secrète auprès du FLN pour préparer les accords d’Évian (1961). |
14 avril 1962 | Nommé Premier ministre par le général de Gaulle. |
Octobre 1962 | Chute du premier gouvernement Pompidou (motion de censure), suivi de la réélection de de Gaulle et du rappel de Pompidou comme Premier ministre. |
1965 | De Gaulle est réélu président, Pompidou reconduit comme Premier ministre. |
Mars 1967 | Élections législatives : la majorité gaulliste ne conserve qu’une faible avance. Pompidou est élu député du Cantal. |
Mai-juin 1968 | Crise étudiante et sociale de Mai 68. Négociations de Grenelle (27 mai) et dissolution de l’Assemblée (30 mai). Large victoire gaulliste aux législatives de juin. |
10 juillet 1968 | Georges Pompidou quitte Matignon, remplacé par Maurice Couve de Murville. |
15 juin 1969 | Élection de Georges Pompidou à la présidence de la République (58,2 % des voix au second tour). |
20 juin 1969 | Investiture de Pompidou comme 2^e président de la Ve République. Jacques Chaban-Delmas devient Premier ministre. |
Déc. 1969 | Sommet européen de La Haye : relance de la construction européenne (achèvement, approfondissement, élargissement). |
5 juillet 1972 | Démission de Chaban-Delmas, remplacé par Pierre Messmer comme Premier ministre. |
1972-1973 | Entrée en vigueur du serpent monétaire européen (avril 1972). Entrée du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande dans la CEE (janvier 1973). |
Oct. 1973 | Premier choc pétrolier : début de la crise énergétique mondiale. |
2 avril 1974 | Mort de Georges Pompidou en cours de mandat, à l’Élysée, des suites de sa maladie. |
Nos sauces piquantes
Découvrez nos saveurs politiquement (in)correctes !