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Valéry Giscard d'Estaing

Valéry Giscard d’Estaing (1926-2020) est un homme d’État français qui a occupé la présidence de la République de 1974 à 1981. Tour à tour résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, haut fonctionnaire, ministre des Finances, puis président français à seulement 48 ans, il a profondément marqué la société par son programme de réformes Giscard tournées vers la modernisation et l’ouverture de la France. Défenseur d’une « société libérale avancée », il est à l’origine de grandes mesures comme l’abaissement de la majorité à 18 ans, la légalisation de l’IVG (avortement) et la facilitation du divorce par consentement mutuel. Sur la scène internationale, Valéry Giscard d’Estaing s’est affirmé en promoteur de la construction européenne et en acteur majeur de la diplomatie française des années 1970.

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Enfance, milieu familial et formation académique

Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing naît le 2 février 1926 à Coblence, en Allemagne occupée, où son père est en poste dans l’administration française. Issu d’une famille de la haute bourgeoisie française, le jeune Valéry grandit dans un milieu aisé et fortement impliqué dans la vie publique. Son père, Edmond Giscard (qui fera ajouter “d’Estaing” à son patronyme), est un haut fonctionnaire financier et économiste, décoré de la Légion d’honneur et membre de l’Institut de France. Sa mère, May Bardoux, appartient à une lignée d’hommes politiques : elle est la petite-fille du ministre de la IIIe République Agénor Bardoux. Par sa branche maternelle, Valéry Giscard d’Estaing compte même parmi ses ancêtres une fille naturelle du roi Louis XV, héritage d’une France aristocratique.

Cadet d’une fratrie de cinq enfants, Valéry grandit aux côtés de son frère et de ses trois sœurs au sein d’une famille aux valeurs patriotiques et conservatrices. Très tôt, il bénéficie d’une éducation privilégiée. Après l’enfance en Auvergne – berceau de la famille Bardoux – il poursuit ses études secondaires à Paris. Élève brillant, il fréquente successivement le lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, puis les établissements parisiens de l’école Gerson, du lycée Janson-de-Sailly et enfin du réputé lycée Louis-le-Grand. Cette solide formation dans les meilleurs lycées de la République le destine à de hautes études.

En 1945, à la fin de la guerre, Valéry Giscard d’Estaing intègre l’École Polytechnique, dont il sortira diplômé. Il poursuit ensuite son cursus à l’École nationale d’administration (ENA) – promotion 1951 dite « Europe » – qu’il intègre sans concours en tant qu’élève polytechnicien. Son passage par l’ENA, pépinière de la haute fonction publique, lui permet de côtoyer d’autres futurs grands serviteurs de l’État et de se constituer un réseau précieux. À sa sortie de l’ENA, il choisit la prestigieuse Inspection générale des finances en 1952, suivant les pas de son père. Cette double formation d’ingénieur (Polytechnique) et d’administrateur (ENA) lui confère une expertise technique qui marquera sa carrière politique.

Engagement pendant la Seconde Guerre mondiale

L’adolescence de Valéry Giscard d’Estaing est bouleversée par la Seconde Guerre mondiale. En 1944, alors qu’il vient tout juste de fêter ses 18 ans, il s’engage activement dans la Libération de la France. À Paris, il participe aux opérations de la Libération d’août 1944 en tant que volontaire du service d’ordre pendant l’insurrection parisienne. Peu après, déterminé à servir son pays, il s’engage dans l’armée. Le jeune homme rejoint les rangs de la 1ère armée française du général de Lattre de Tassigny pour les dernières campagnes militaires. Affecté à une unité blindée, il participe à la progression des forces françaises en Allemagne en 1945.

Cet engagement précoce lui vaut une reconnaissance nationale. En avril 1945, Valéry Giscard d’Estaing, promu brigadier (chef de char), se distingue par sa bravoure sur le front. Il est cité à l’ordre de l’Armée et décoré de la Croix de guerre 1939-1945 à seulement 19 ans. Ce décoré de la Libération conserve de cette expérience militaire un profond patriotisme et une connaissance concrète de la réalité du terrain. La guerre terminée, il reprend le fil de ses études, fort de l’image d’un jeune héros de la Nation. Ce passé de résistant et d’ancien combattant confèrera à Giscard d’Estaing une légitimité particulière aux yeux de la génération ayant vécu la guerre, même s’il n’en fera pas un instrument politique ostentatoire.

Débuts politiques et montée en influence

À l’issue de sa formation à l’ENA et de son passage par l’Inspection des finances, Valéry Giscard d’Estaing ne tarde pas à entrer en politique. Sa carrière administrative prend un tournant en 1954 lorsqu’il devient directeur adjoint du cabinet du Président du Conseil (Premier ministre) Edgar Faure. Âgé d’à peine 28 ans, il découvre ainsi les arcanes du pouvoir exécutif de la IVe République aux côtés d’Edgar Faure. L’année suivante, en 1955, il s’inscrit davantage dans l’action politique en se rapprochant du général Charles de Gaulle, dont le retour au pouvoir se dessine sur fond de crise en Algérie.

En janvier 1956, Valéry Giscard d’Estaing fait le grand saut en politique élective. Il est élu député du Puy-de-Dôme à 29 ans, s’implantant ainsi dans le fief auvergnat de sa famille maternelle. Ce premier mandat parlementaire (1956-1959) intervient durant les derniers soubresauts de la IVe République. À l’Assemblée nationale, le jeune député se fait remarquer par ses compétences économiques et son appartenance à l’aile modérée de la droite. En 1958, lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir et fonde la Ve République, Giscard d’Estaing le soutient. Grâce à son profil technocratique et à son ancrage centriste, il apparaît comme un allié de choix pour le nouveau régime gaulliste qui cherche de nouveaux talents.

Dès la formation du gouvernement de la Ve République, Valéry Giscard d’Estaing se voit confier des responsabilités ministérielles. En janvier 1959, à seulement 32 ans, il est nommé secrétaire d’État aux Finances dans le gouvernement de Michel Debré. Protégé du général de Gaulle, il seconde alors le ministre des Finances Antoine Pinay. Giscard apporte sa touche de modernité et son expertise d’inspecteur des finances au sein de l’administration gaullienne, qui cherche à stabiliser la monnaie et à relancer l’économie après les troubles de la IVe République.

Sa montée en influence se confirme en 1962 : à 36 ans, Valéry Giscard d’Estaing est promu ministre des Finances et des Affaires économiques du général de Gaulle. Il devient ainsi le plus jeune ministre de l’Économie de l’après-guerre. Durant quatre ans (1962-1966), il occupe ce portefeuille stratégique et développe une réputation d’excellent gestionnaire. Son action s’inscrit dans la continuité du « miracle économique » des Trente Glorieuses, tout en préparant la France aux mutations à venir. Il prône un mélange de libéralisme économique et d’intervention de l’État, se démarquant légèrement du dirigisme gaulliste traditionnel.

En parallèle, Giscard d’Estaing renforce son assise politique locale et nationale. Il est constamment réélu conseiller général dans le Puy-de-Dôme (canton de Rochefort-Montagne) de 1958 à 1974, cultivant ses bases électorales auvergnates. Par ailleurs, en 1964, il fonde les Jeunes Républicains Indépendants, mouvement de jeunesse qui le positionne comme le leader d’une nouvelle génération de la droite modérée. Cette structuration de son courant d’idées, distinct du grand parti gaulliste, préfigure ses ambitions présidentielles.

La fin des années 1960 voit Valéry Giscard d’Estaing prendre ses distances avec le gaullisme pur et dur. En 1966, il quitte le gouvernement à la suite de désaccords avec le Premier ministre Georges Pompidou et certains barons gaullistes. Officiellement réintégré à l’Inspection des finances, il reste en réalité très actif politiquement. Il profite de ce retrait temporaire du gouvernement pour affirmer son indépendance. En 1966, il crée la Fédération nationale des Républicains Indépendants (FNRI) dont il prend la présidence. Ce parti centriste, allié mais non inféodé aux gaullistes, va servir de tremplin à son ascension. Giscard s’impose ainsi comme le chef de file de l’aile modérée de la majorité, incarnant une alternative possible au gaullisme historique.

En 1967, il est réélu député du Puy-de-Dôme et devient président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Depuis ce poste clé, il aiguise son expertise économique et se pose en gardien de l’orthodoxie budgétaire. Lors du référendum constitutionnel de 1969 initié par de Gaulle (sur la réforme du Sénat et la régionalisation), Giscard se singularise en ne soutenant pas ouvertement le « Oui ». Son attitude réservée contribue, avec d’autres facteurs, à l’échec du référendum qui provoque la démission du général de Gaulle. Ce positionnement audacieux montre que Giscard n’hésite plus à s’émanciper de ses anciens mentors gaullistes, ce qui accroît sa stature politique. Lorsque Georges Pompidou succède à de Gaulle en 1969, Valéry Giscard d’Estaing apparaît déjà comme un homme incontournable de la droite non gaulliste, prêt à jouer sa carte personnelle.

Ministre des Finances (1962–1966, 1969–1974)

Valéry Giscard d’Estaing occupe à deux reprises le poste de ministre des Finances, d’abord sous la présidence de Charles de Gaulle (1962-1966), puis sous celle de Georges Pompidou (1969-1974). Ces deux passages à Bercy assoient sa réputation de gestionnaire compétent et réformateur.

Lors de son premier mandat ministériel (1962-66), Giscard d’Estaing accomplit quelques faits notables. En plein essor des Trente Glorieuses, il supervise en 1965 l’équilibre du budget de l’État, qui affiche même un léger excédent – une première depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette performance budgétaire (un excédent de 120 millions de francs en 1965) est obtenue en partie grâce à des transferts de dépenses vers des organismes publics comme la Caisse des dépôts, mais elle vaut à Giscard l’image flatteuse d’un ministre soucieux de rigueur. Il modernise également l’administration des Finances et encourage l’ouverture de l’économie française aux échanges internationaux, dans la lignée des plans de stabilisation de son prédécesseur Antoine Pinay. Néanmoins, ses vues plus libérales – prônant moins d’intervention étatique – le mettent en porte-à-faux avec l’orthodoxie gaulliste, ce qui contribuera à son éviction du gouvernement en 1966.

Après deux années en retrait relatif, Giscard d’Estaing revient aux affaires lors du septennat de Georges Pompidou. Ce dernier, élu président en 1969, lui confie de nouveau le ministère de l’Économie et des Finances, fonction qu’il occupe sans discontinuer de 1969 jusqu’à sa campagne présidentielle de 1974. Durant ces cinq années, il doit gérer une période contrastée : les débuts sont marqués par la poursuite de la croissance héritée des années 1960, puis survient le premier choc pétrolier de 1973, qui met fin à l’expansion économique rapide. En tant que ministre, Valéry Giscard d’Estaing fait preuve de pragmatisme. Au lendemain de l’abandon de la convertibilité du dollar (fin du système de Bretton Woods en 1971), il participe à la mise en place du « serpent monétaire européen », prémices de la coopération monétaire en Europe de l’Ouest. Sur le plan intérieur, il préconise des mesures de lutte contre l’inflation galopante au début des années 1970, tout en cherchant à maintenir un certain niveau d’emploi.

Giscard d’Estaing profite également de cette période pour accroître sa stature internationale. Il préside en 1970 le conseil de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), témoignant de son rayonnement au-delà des frontières françaises. Surnommé parfois le « Mozart de la finance » pour sa maîtrise des dossiers économiques, il tisse des relations avec ses homologues étrangers. En 1971, il accompagne le président Pompidou à la conférence européenne de la Haye et contribue aux discussions monétaires avec les États-Unis. Il accueille en 1972 le président américain Richard Nixon en France pour des échanges économiques bilatéraux. Ce réseau international lui sera précieux par la suite.

Ministre des Finances de Pompidou jusqu’à la veille de l’élection de 1974, Valéry Giscard d’Estaing acquiert un solide bilan et une visibilité politique nationale. Il a fondé et présidé le groupe des Républicains Indépendants, qui constitue alors la deuxième force de la majorité après le grand parti gaulliste. Cette position centrale dans la droite non gaulliste va lui permettre d’envisager la conquête de l’Élysée à la mort de Georges Pompidou.

Élection présidentielle de 1974 et programme de réforme

En avril 1974, le décès soudain du président Georges Pompidou provoque une élection présidentielle anticipée. Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Économie et figure de proue des indépendants de droite, se lance dans la course à l’Élysée. Sa candidature, initialement perçue comme outsider face aux gaullistes, va bénéficier d’un concours de circonstances et d’une campagne habilement menée.

Au premier tour du scrutin (5 mai 1974), Giscard d’Estaing se présente comme le candidat du « changement dans la continuité » – souhaitant poursuivre l’œuvre de Pompidou tout en insufflant un esprit neuf. Il fait face notamment à Jacques Chaban-Delmas, ancien Premier ministre gaulliste soutenu par l’UDR (le parti de de Gaulle), et à François Mitterrand, leader de l’union de la gauche (Parti socialiste allié aux communistes). Contre toute attente, Valéry Giscard d’Estaing parvient à devancer Jacques Chaban-Delmas, en ralliant une partie des voix gaullistes modérées et l’appui décisif de Jacques Chirac. Ce dernier, jeune loup gaulliste en conflit avec Chaban, apporte un soutien officieux à Giscard, contribuant à éliminer Chaban-Delmas au soir du premier tour. Valéry Giscard d’Estaing arrive ainsi en deuxième position du premier tour avec 32,6 % des suffrages, se qualifiant pour le second tour face à François Mitterrand.

Entre les deux tours, Giscard d’Estaing intensifie sa campagne centriste. Âgé de 48 ans, dynamique et moderne, il se démarque de son adversaire Mitterrand (57 ans) en incarnant une génération nouvelle. Il met en avant un programme de réformes ambitieux visant à libéraliser la société française et à moderniser l’économie. Parmi ses promesses phares figurent l’abaissement de la majorité civique de 21 à 18 ans, la légalisation de l’avortement (IVG) pour les femmes en détresse, la simplification de la procédure de divorce, ou encore la volonté de rapprocher le pouvoir des citoyens. Lors du débat télévisé de l’entre-deux-tours, suivi par des millions de Français, Giscard lance à Mitterrand la phrase mémorable : « Vous n’avez pas le monopole du cœur », soulignant sa propre humanité et ébranlant son adversaire. Ce débat tourne à l’avantage du candidat centriste.

Le 19 mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République avec 50,8 % des voix. La victoire est extrêmement étriquée – environ 425 000 voix d’avance seulement sur François Mitterrand – faisant de cette élection la plus serrée de la Ve République. À 48 ans, Giscard devient le plus jeune président français du XXe siècle, le plus jeune tout court depuis 1895. Son élection marque la fin de 16 ans d’hégémonie gaulliste et l’avènement d’une droite libérale et progressiste à la tête de l’État. Dans son discours d’investiture, il se présente comme le président de la « changement sans le risque », promettant une ère nouvelle : « La France doit être gouvernée d’une main ferme mais ouverte, en dialoguant avec les Français », déclare-t-il en substance.

Dès son arrivée au pouvoir, le président Giscard d’Estaing s’entoure d’une équipe rajeunie. Il nomme le gaulliste Jacques Chirac au poste de Premier ministre, récompensant ainsi son soutien tacite. Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing peut alors commencer, sous le signe d’un volontarisme réformateur et d’un style présidentiel inédit.

Présidence de la République (1974–1981)

Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) est placé sous le signe de la modernisation et d’un vent de liberté sociale, mais aussi confronté à de rudes défis économiques et politiques. Troisième président de la Ve République, Giscard souhaite dépoussiérer la fonction présidentielle, s’inspirant en partie de la jeunesse et du dynamisme affichés par John F. Kennedy aux États-Unis. Son début de mandat marque une rupture de ton : il adopte un style plus simple et proche des Français, contrastant avec la solennité gaullienne. Ainsi, pour la première fois, un président remonte les Champs-Élysées à pied lors de son investiture, saluant la foule sur le parcours vers l’Arc de Triomphe – geste symbolique d’une présidence plus accessible aux citoyens. Il choisit également un portrait officiel en extérieur, souriant et sans le traditionnel collier de grand-maître de la Légion d’honneur, photographié par Jacques-Henri Lartigue, pour afficher une image de modernité.

Sur le plan institutionnel, Giscard d’Estaing cherche à libéraliser la société française et à assouplir la gouvernance. Il s’entoure de personnalités jeunes et compétentes : il crée dès 1974 un secrétariat d’État à la Condition féminine confié à la journaliste Françoise Giroud, promouvant ainsi la place des femmes dans la société politique. Son gouvernement compte aussi des ministres issus d’horizons divers, y compris des non-gaullistes et des centristes, traduisant sa volonté de rassembler « deux Français sur trois » au-delà des clivages partisans.

Les premières années du mandat sont marquées par un élan réformateur soutenu (détaillé dans la section suivante). Sous l’impulsion présidentielle, de grandes lois de société sont votées en 1974-1975 : la majorité civile à 18 ans, la dépénalisation de l’avortement, l’autorisation du divorce par consentement mutuel, etc.. Ces mesures emblématiques traduisent une évolution des mœurs sans précédent, ouvrant une ère plus libérale sur le plan social. Valéry Giscard d’Estaing résume son objectif par l’établissement d’une « société libérale avancée », c’est-à-dire une société à la fois libérée des contraintes archaïques et attachée aux libertés individuelles.

Parallèlement, Giscard s’efforce de moderniser l’économie française dans un contexte international difficile. L’euphorie de son élection est rapidement douchée par la crise consécutive au choc pétrolier de 1973. En 1974-1975, la France subit pour la première fois depuis l’après-guerre une récession, combinant forte inflation et montée du chômage. Pour contrer ces problèmes, le président initie d’abord une politique de relance modérée (baisse de certains impôts, soutien à l’industrie) afin de maintenir l’activité. Conscient de l’enjeu énergétique, il lance aussi un grand programme nucléaire civil pour réduire la dépendance au pétrole : c’est le développement massif des centrales nucléaires EDF qui fera de la France l’un des pays les plus nucléarisés au monde. De même, le projet du train à grande vitesse (TGV) est soutenu et financé sous son autorité, symbolisant la volonté d’innovation technologique du septennat.

Cependant, face à la persistance de l’inflation et aux déséquilibres extérieurs, Valéry Giscard d’Estaing décide en 1976 un virage plus rigoureux. Cette année-là, le Premier ministre Jacques Chirac, en désaccord croissant avec le président, démissionne brutalement en août 1976 en invoquant qu’il lui était devenu « impossible de gouverner » sous l’autorité de Giscard. Ce départ retentissant marque la rupture entre les deux hommes et fracture la majorité. Pour le remplacer, le chef de l’État nomme un économiste respecté, Raymond Barre, qualifié par Giscard de « meilleur économiste de France ». Raymond Barre mène dès lors une politique de rigueur budgétaire et monétaire pour juguler l’inflation, au prix de sacrifices en termes d’emploi. Les années 1976-1981 sont ainsi celles d’une austérité relative (blocage des prix et des salaires à plusieurs reprises, réduction des déficits), qui stabilise l’économie mais engendre une hausse du chômage et un mécontentement social croissant.

Sur le plan politique intérieur, Giscard d’Estaing voit son image évoluer. D’abord perçu comme un président jeune et proche du peuple (il lui arrive de dîner chez des Français anonymes tirés au sort, ou de s’inviter à bord d’une rame de métro pour dialoguer avec des voyageurs), il souffre cependant d’un tempérament parfois jugé technocratique et d’un certain goût du luxe qui lui vaudront l’étiquette d’un président « aristocrate ». Ses opposants et même une partie de l’opinion lui reprochent un comportement distant, voire hautain, notamment vers la fin de son mandat. Quelques épisodes entachent son rapport à l’opinion : par exemple, l’affaire des diamants de Bokassa, révélée en 1979, dans laquelle on l’accuse d’avoir reçu en cadeau des diamants du dictateur centrafricain Jean-Bedel Bokassa, choque l’opinion et ternit son intégrité. Bien qu’il n’y ait rien d’illégal et que les pierres aient été de faible valeur revendiquée, le scandale laisse une trace indélébile sur sa réputation d’homme d’État exemplaire.

Malgré ces difficultés, Valéry Giscard d’Estaing parvient à maintenir une majorité parlementaire jusqu’au bout de son mandat. Les élections législatives de 1978, que beaucoup prédisaient gagnées par la gauche en raison de la crise économique, voient finalement la majorité de droite (coalition entre le parti gaulliste RPR de Chirac et l’UDF giscardienne) conserver de justesse le pouvoir. Ce succès électoral in extremis redonne un temps espoir au président pour 1981. Néanmoins, les relations entre Giscard et Jacques Chirac – devenu maire de Paris et leader du RPR – se dégradent fortement. Chirac, mécontent de son rôle subalterne pendant le septennat, se pose en rival non déclaré. En parallèle, la popularité personnelle de Giscard s’effrite sous l’effet de la crise économique, d’un style jugé plus conservateur sur la fin (durcissement de la politique migratoire en 1977, mesures sécuritaires après une vague d’attentats d’extrême-gauche, etc.). L’heure du bilan approche pour ce président qui a tant voulu transformer la France, mais dont le sort va se jouer dans les urnes face à François Mitterrand en 1981.

Réformes majeures du septennat Giscard

Le mandat de Valéry Giscard d’Estaing a été marqué par plusieurs réformes majeures qui ont modernisé la société française et modifié durablement le paysage législatif. Soucieux de tenir ses promesses de campagne et d’adapter la France à l’époque, Giscard et son gouvernement ont fait adopter des lois clés dès les premières années du septennat :

  • Abaissement de la majorité à 18 ans (1974) – L’une des toutes premières mesures symboliques du nouveau président est de ramener l’âge de la majorité civile et électorale de 21 ans à 18 ans. Dès juillet 1974, les jeunes Français de 18 à 20 ans obtiennent le droit de vote et deviennent pleinement majeurs juridiquement. Cette réforme, popularisée par le slogan « Il est interdit d’interdire aux moins de 21 ans », traduit la confiance de Giscard dans la jeunesse. Elle vise à encourager l’implication civique des jeunes générations et à aligner la France sur nombre d’autres démocraties occidentales. À partir des élections de 1977-1978, on comptera ainsi plus de deux millions de nouveaux électeurs de 18-20 ans.
  • Légalisation de l’IVG – Loi Veil (1975) – Probablement la réforme la plus emblématique du septennat, la loi du 17 janvier 1975, portée par la ministre de la Santé Simone Veil avec le soutien du président, dépénalise l’interruption volontaire de grossesse en France. Jusque-là interdit sauf exceptions, l’avortement devient légal durant les dix premières semaines de grossesse, encadré médicalement. Cette avancée majeure en matière de droit des femmes, ardemment débattue à l’Assemblée, est votée grâce aux voix centristes et de gauche, une partie de la droite conservatrice y étant opposée. Valéry Giscard d’Estaing a personnellement pesé de tout son poids pour faire passer cette loi sociétale, considérant qu’elle correspondait à une évolution nécessaire des mœurs. L’entrée en vigueur de la loi Veil a contribué à sauver la vie de nombreuses femmes et a fait entrer la France dans une nouvelle ère de liberté individuelle.
  • Divorce par consentement mutuel (1975) – Dans le prolongement des changements de société, Giscard d’Estaing fait adopter la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce. Pour la première fois en France, le divorce par consentement mutuel, c’est-à-dire sur simple accord des deux époux sans besoin de faute, est autorisé. Cette mesure vient assouplir une législation héritée du code Napoléon, qui ne prévoyait le divorce que pour des motifs précis et contentieux. Dorénavant, des conjoints peuvent décider d’un commun accord de se séparer légalement, reflétant l’évolution des mentalités sur le couple et le mariage. La réforme du divorce facilite aussi la reconstruction des familles (remariages, familles recomposées) dans une France en mutation sociale.
  • Fin de la tutelle de l’État sur l’audiovisuel public (1974) – Autre changement notable initié dès 1974 : l’éclatement de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française). Giscard souhaitait libéraliser les médias et en finir avec l’image d’une télévision “voix de son maître”. La réforme de 1974 divise l’ORTF en plusieurs sociétés autonomes (TF1, Antenne 2, FR3, Radio France, INA) et supprime le ministère de l’Information. Si l’audiovisuel reste public, le pouvoir politique renonce à un contrôle direct du journal télévisé, marquant un premier pas vers une plus grande indépendance de l’information. Cette libéralisation partielle prépare l’ouverture à la concurrence qui interviendra dans les années 1980.
  • Réforme du Conseil constitutionnel (1974) – Sur le plan institutionnel, Valéry Giscard d’Estaing élargit considérablement le droit de saisine du Conseil constitutionnel. Dès 1974, une révision constitutionnelle permet à 60 députés ou 60 sénateurs de déférer une loi au Conseil constitutionnel, alors qu’auparavant seuls le président, le Premier ministre ou les présidents des chambres en avaient le pouvoir. Cette démocratisation du contrôle de constitutionnalité renforce l’État de droit et permet à l’opposition parlementaire de faire vérifier la conformité des lois à la Constitution. Giscard d’Estaing, en libéral assumé, voyait là un moyen d’équilibrer les pouvoirs et de garantir les libertés publiques.
  • Politique énergétique et développement du nucléaire – Confronté au choc pétrolier, Giscard d’Estaing mise sur l’indépendance énergétique de la France. Il amplifie le programme électronucléaire lancé par Pierre Messmer en 1974 : durant son septennat, des dizaines de réacteurs nucléaires sont commandés ou mis en chantier, faisant entrer la France dans l’ère de l’électricité d’origine nucléaire à grande échelle. Par ailleurs, il encourage les économies d’énergie (limitation de la vitesse sur route à 100 km/h un temps, campagnes de sensibilisation) et soutient la création en 1977 de l’Agence française pour les économies d’énergie. La stratégie nucléaire de Giscard se révélera payante dans les décennies suivantes, la France disposant d’une électricité abondante et relativement bon marché, tout en réduisant sa dépendance aux hydrocarbures importés.

En somme, ces réformes structurantes témoignent de l’impact durable du septennat de Valéry Giscard d’Estaing sur la société française. Elles illustrent son ambition de moderniser la France en l’adaptant aux aspirations de liberté et de progrès de l’époque. Si certaines de ces mesures ont suscité des résistances initiales, elles font aujourd’hui partie intégrante du paysage législatif français et constituent une part essentielle de l’héritage giscardien.

Politique étrangère et relations internationales

Sur la scène internationale, le président Valéry Giscard d’Estaing imprime également sa marque, en poursuivant une active politique étrangère axée sur le renforcement de l’Europe, la coopération avec les grandes puissances et la présence de la France dans le monde, notamment en Afrique.

  • Construction européenne : Européen convaincu, Giscard d’Estaing œuvre main dans la main avec le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt pour faire avancer l’intégration européenne dans les années 1970. Ensemble, ils instaurent en 1974 le Conseil européen, c’est-à-dire des sommets réguliers rassemblant les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté européenne, afin de définir les grandes orientations politiques communes. Giscard soutient aussi l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct, qui se concrétise pour la première fois en 1979. Autre avancée majeure : il est l’architecte, avec Schmidt, du Système monétaire européen (SME) lancé en 1979, créant une unité de compte européenne (l’ECU) et arrimant les monnaies des pays membres les unes aux autres – première étape vers l’euro. Par ailleurs, il milite pour l’élargissement de la Communauté économique européenne (CEE) à de nouveaux membres : il plaide notamment en faveur de l’adhésion de la Grèce, arguant qu’« on ne ferme pas la porte à Platon » après la fin de la dictature des colonels. Sous son mandat, l’entrée de la Grèce est actée (elle deviendra membre en 1981, quelques mois après son départ), ouvrant la voie à l’élargissement méditerranéen (Portugal, Espagne) qui suivra. Valéry Giscard d’Estaing se positionne comme un ardent promoteur d’une Europe unie, mais équilibrée : il défend une vision intermédiaire, refusant aussi bien le fédéralisme absolu qu’une simple coopération d’États.
  • Relations avec les États-Unis et l’URSS : Giscard d’Estaing entretient des rapports cordiaux avec les présidents américains successifs. Sous Gerald Ford, il initie en 1975 la création du G7 (à l’époque G6) – le groupe des sept principales puissances économiques mondiales – en conviant ces dirigeants à Rambouillet pour un sommet informel qui devient annuel par la suite. C’est une innovation diplomatique marquante qui permet aux grandes nations industrialisées de coordonner leurs politiques économiques. Avec Jimmy Carter, Giscard partage des vues sur les droits de l’homme, bien que Carter désapprouve le soutien français à certains régimes africains. En 1977, les deux hommes commémorent ensemble le débarquement allié en Normandie, scellant l’amitié franco-américaine. Concernant l’URSS, Giscard poursuit la politique de détente entamée par Pompidou : il reçoit le dirigeant soviétique Léonid Brejnev à Paris en 1977 et se rend à Moscou en 1979. Mais il condamne l’invasion soviétique de l’Afghanistan fin 1979 et apporte un soutien moral aux mouvements dissidents en Europe de l’Est. Dans l’ensemble, il maintient la France dans une ligne atlantiste mesurée, fidèle à l’indépendance gaullienne (pas de réintégration du commandement militaire de l’OTAN), tout en resserrant les liens avec les alliés occidentaux.
  • Présence en Afrique : Valéry Giscard d’Estaing hérite du rôle de gendarme officieux de l’Afrique francophone, dans la tradition de la “Françafrique”. Son septennat est marqué par plusieurs interventions notables. En mai 1978, il décide l’engagement de l’armée française au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) pour secourir des ressortissants européens pris en otage lors de la bataille de Kolwezi. L’intervention éclair des parachutistes français et belges est un succès, salué internationalement. Giscard d’Estaing n’hésite pas à user de la force lorsque les intérêts occidentaux ou la stabilité sont menacés en Afrique. L’année suivante, en septembre 1979, il soutient activement le renversement de l’empereur centrafricain Jean-Bedel Bokassa (autrefois son allié) après que ce dernier s’est rendu coupable de crimes atroces. L’opération Caban, menée par les services français, installe un gouvernement provisoire à Bangui et écarte Bokassa du pouvoir. Cet épisode est directement lié au scandale des « diamants de Bokassa » qui éclate en France la même année, embarrassant le président sur le plan intérieur. De plus, sous Giscard, la France accompagne la décolonisation finale : le territoire de Djibouti accède à l’indépendance en 1977 avec l’appui de Paris. Globalement, Valéry Giscard d’Estaing se montre soucieux de préserver l’influence française en Afrique tout en adaptant les relations post-coloniales – il encourage par exemple la coopération au développement et les échanges culturels, inaugurant en 1975 les sommets France-Afrique annuels.
  • Autres relations internationales : Giscard d’Estaing entretient un lien privilégié avec l’Allemagne de l’Ouest (couple Giscard-Schmidt) et consolide l’axe franco-allemand comme moteur de l’Europe. Avec le Royaume-Uni, il coopère étroitement avec le Premier ministre Harold Wilson puis James Callaghan, notamment sur les questions monétaires. En 1975, la France de Giscard accueille la reine Elizabeth II pour une visite d’État fastueuse, symbole de l’entente retrouvée entre Paris et Londres après l’entrée britannique dans la CEE en 1973. Au Moyen-Orient, le président français poursuit une politique équilibrée : soutien à la sécurité d’Israël tout en ouvrant le dialogue avec des pays arabes modérés. En 1977, il reçoit le président égyptien Sadate à Paris avant la tournée de ce dernier à Jérusalem, appuyant les prémices du processus de paix israélo-arabe. La France giscardienne condamne par ailleurs fermement le terrorisme international après plusieurs attaques sur son sol (prise d’otage à l’aéroport d’Orly en 1978, etc.) et participe à des efforts multilatéraux contre la prolifération nucléaire.

En synthèse, la politique étrangère de Valéry Giscard d’Estaing se caractérise par un engagement pro-européen fort, un atlantisme modéré et une volonté de présence active de la France sur tous les fronts – économiques, diplomatiques et militaires. Son mandat aura consolidé la place de la France parmi les grandes puissances, tout en posant des jalons importants pour l’avenir de l’Union européenne.

Défaite face à François Mitterrand en 1981

En 1981, après sept ans de pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing brigue un second mandat présidentiel. Toutefois, les élections présidentielles de 1981 vont tourner en sa défaveur, aboutissant à sa défaite face au candidat socialiste François Mitterrand. Plusieurs facteurs convergent pour expliquer ce revers historique.

D’une part, le contexte économique est défavorable au président sortant. La France de 1981 est engluée dans la “stagflation” : une croissance atone, un taux de chômage record (plus de 1,5 million de chômeurs) et une inflation toujours élevée érodent le pouvoir d’achat des Français. Malgré les efforts de rigueur de Raymond Barre, le bilan économique du septennat est perçu négativement par une partie de l’électorat, qui aspire au changement et aux solutions alternatives proposées par la gauche (relance par la consommation, nationalisations, etc.). Les classes populaires, en particulier, se détournent de celui qui avait déclaré quelques années plus tôt que « la France vit au-dessus de ses moyens » (selon l’expression de son Premier ministre Barre). Cette image d’un Giscard chantre de l’austérité pèse lourd dans les urnes.

D’autre part, Valéry Giscard d’Estaing doit faire face à une situation politique inédite : l’union de la gauche est en ordre de bataille derrière Mitterrand, tandis qu’à droite sa propre majorité est divisée. En effet, Jacques Chirac, qui n’a jamais digéré son éviction de Matignon en 1976, reste ostensiblement tiède dans son soutien au président sortant. Bien qu’il ne se présente pas lui-même en 1981, Chirac laisse entendre que lui et beaucoup d’électeurs du RPR préfèrent “suivre leur conscience” plutôt que de voter Giscard. Ce manque d’enthousiasme – certains parlent de « trahison » – affaiblit considérablement la campagne giscardienne. Au premier tour, Valéry Giscard d’Estaing arrive en tête avec environ 28% des voix, talonné de près par Mitterrand (25%) et devançant de justesse un troisième homme, Jacques Chirac, qui recueille 18% des suffrages sur son nom. Ce score important de Chirac représente une réserve de voix incertaine pour le second tour.

Entre les deux tours de la présidentielle (avril-mai 1981), Giscard tente de remobiliser l’électorat de droite et du centre en soulignant l’expérience acquise et en agitant le risque d’une arrivée de la gauche communiste au pouvoir avec Mitterrand. Cependant, sa campagne de second tour peine à créer une dynamique. François Mitterrand, au contraire, réussit une ouverture vers le centre et rassure sur ses intentions (il s’engage par exemple à nommer un Premier ministre modéré si besoin, ce sera finalement Pierre Mauroy). De plus, l’image de Giscard s’est ternie : ses opposants dressent le bilan d’un président qui aurait perdu le contact avec le peuple, citant son comportement distant, les scandales (comme les diamants) et des erreurs symboliques (comme son voyage de chasse en Afrique sur invitation de Bokassa au début du mandat).

Le 10 mai 1981, le verdict des urnes tombe : François Mitterrand est élu président avec 51,76% des suffrages, contre 48,24% à Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier devient ainsi le premier président de la Ve République battu dans sa tentative de réélection. La soirée électorale est vécue douloureusement par le camp Giscard. À 20h, les Français découvrent sur leur écran le visage serein de Mitterrand entouré d’une rose (symbole socialiste) signifiant l’alternance historique.

Dans les jours qui suivent, Valéry Giscard d’Estaing organise son départ de l’Élysée avec amertume. Il reste en retrait lors de la passation de pouvoir le 21 mai 1981, n’accompagnant pas Mitterrand sur le perron de l’Élysée selon le protocole classique. Surtout, la veille, le président sortant prononce une allocution télévisée d’adieu restée célèbre : seul à son bureau, visiblement ému, il remercie les Français de lui avoir donné « l’honneur de servir l’État » pendant sept ans, puis conclut par un simple « Au revoir » avant de se lever et de quitter le champ de la caméra, laissant un fauteuil vide face aux téléspectateurs. Cette scène inédite, théâtrale, illustre la fin d’une époque.

Battu, Valéry Giscard d’Estaing quitte donc l’Élysée sur ce mot de « Au revoir » adressé à la France. Pour beaucoup, c’est la fin prématurée du destin national d’un homme qui avait modernisé le pays mais que les circonstances et les divisions ont fait chuter. La droite, en pleine introspection après l’échec, mettra du temps à se recomposer entre chiraquiens et giscardiens, tandis que le nouveau pouvoir socialiste engage les réformes promises (abolition de la peine de mort, nationalisations, 5e semaine de congés payés, etc.), marquant une rupture politique nette avec l’ère Giscard.

Activités post-présidence

Après son départ de l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing, âgé de 55 ans en 1981, entame une nouvelle phase de sa carrière, mêlant engagement politique, missions européennes et interventions dans le débat public. L’ancien président ne se retire pas immédiatement de la vie politique, au contraire : il entreprend de rebâtir une stature d’homme d’État en dehors de l’Élysée.

Dans les mois suivant sa défaite, Giscard d’Estaing observe d’abord une certaine réserve, par courtoisie républicaine vis-à-vis de son successeur. Toutefois, dès 1982, il reprend pied en politique locale : il se fait élire conseiller général du Puy-de-Dôme, dans son bastion de Chamalières. C’est un retour aux sources auvergnates pour celui qui redevient un élu de terrain. En mars 1984, une élection législative partielle lui offre l’opportunité de retrouver un siège de député à l’Assemblée nationale (qu’il avait perdu en 1981 en quittant l’Élysée). Élu député UDF du Puy-de-Dôme en 1984, Valéry Giscard d’Estaing redevient ainsi un leader de l’opposition de droite. Il siège parmi les bancs centristes et se pose en opposant constructif aux gouvernements socialistes de Pierre Mauroy puis Laurent Fabius. Son expertise économique lui permet de critiquer vigoureusement la politique de nationalisation et le laxisme budgétaire de la première gauche au pouvoir.

Parallèlement, Giscard se consacre à la reconstruction de sa famille politique. En 1978, durant son septennat, il avait contribué à fonder l’Union pour la démocratie française (UDF), confédération centriste créée pour soutenir son action. Après 1981, il prend pleinement les rênes de l’UDF et en devient le président, incarnant le pôle centriste de l’opposition face au RPR de Jacques Chirac. Sous son impulsion, l’UDF défend une ligne libérale pro-européenne et s’allie avec le RPR pour les grandes échéances électorales, malgré les rivalités persistantes entre giscardiens et chiraquiens. Giscard d’Estaing demeure l’un des principaux leaders de la droite durant les années Mitterrand, n’excluant pas une forme de revanche.

En 1986, la droite remporte les élections législatives et impose une cohabitation à François Mitterrand. Giscard d’Estaing n’entre pas dans le gouvernement de cohabitation conduit par Chirac – leurs relations restent méfiantes – mais il obtient un succès local significatif : il est élu président du Conseil régional d’Auvergne en 1986, fonction qu’il conservera jusqu’en 2004. Pendant 18 ans, il s’investit beaucoup dans ce mandat régional, contribuant au développement économique de l’Auvergne (aménagement du parc Vulcania près de Clermont-Ferrand en 2002, etc.). Il reste également conseiller général jusqu’en 1988 et maire honoraire de Chamalières. Cette longue présidence régionale lui permet de garder un ancrage local solide et de rester populaire dans sa terre d’élection.

Sur le plan national, Giscard d’Estaing continue d’apporter ses analyses, parfois critiques, sur l’action du gouvernement Chirac (1986-88) puis sur le second septennat de Mitterrand. En 1988, il soutient sans réserve la candidature de Chirac à l’élection présidentielle face à Mitterrand, tournant ainsi la page de leurs querelles dans l’intérêt de la famille politique. Après la réélection de Mitterrand, Giscard reste député jusqu’en 1989, puis décide de se tourner vers l’Europe.

En 1989, Valéry Giscard d’Estaing conduit la liste UDF aux élections européennes, affirmant toujours son engagement pro-européen. Élu député européen (1989-1993), il siège au Parlement de Strasbourg où il met à profit son expérience pour influencer les politiques communautaires. Il préside un temps la commission des Affaires étrangères du Parlement européen et travaille sur les questions monétaires et institutionnelles. Néanmoins, il finit par démissionner en 1993 pour redevenir député à l’Assemblée nationale française (élections législatives anticipées provoquées par la dissolution de 1993). Il est réélu député du Puy-de-Dôme en 1993, siégeant jusqu’en 1997 dans la majorité soutenant le gouvernement d’Édouard Balladur puis d’Alain Juppé.

La fin des années 1990 marque un lent retrait de la vie politique partisane pour Valéry Giscard d’Estaing. Après 1997, à 71 ans, il ne se représente plus aux législatives. Il se consacre davantage à des missions de réflexion et prend de la hauteur comme sénior des anciens présidents. Cependant, l’histoire n’en a pas fini avec lui : au début des années 2000, son expertise européenne est à nouveau sollicitée au plus haut niveau.

En 2002, Valéry Giscard d’Estaing est choisi pour présider la Convention sur l’avenir de l’Europe, un aréopage chargé de rédiger un projet de Constitution européenne en vue d’une réforme profonde des institutions de l’UE. À 76 ans, l’ancien président retrouve un rôle de premier plan sur la scène internationale. Pendant plus d’un an, il dirige les travaux de la Convention (composée de représentants des gouvernements, des parlements nationaux et du Parlement européen) et élabore le texte d’un Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce projet ambitieux, finalisé en 2003, est signé par les chefs d’État et de gouvernement en 2004. Toutefois, il sera finalement rejeté par référendum en France en 2005, ce qui représente une grande déception personnelle pour Giscard d’Estaing qui y avait investi beaucoup d’espoirs. Néanmoins, de nombreuses idées de ce projet seront reprises dans le traité de Lisbonne en 2007. Ce rôle de « père de la Constitution européenne » consacre Valéry Giscard d’Estaing comme un sage de l’Europe, reconnu pour sa vision à long terme.

Parallèlement à ces activités politiques, l’ancien président s’illustre aussi dans le domaine intellectuel et académique. Il rédige plusieurs ouvrages de réflexion et essais politiques dès les années 1980, où il développe sa vision de la société et de l’avenir. Parmi ses livres notables figurent Deux Français sur trois (1984), dans lequel il analyse les raisons de son échec de 1981 et propose des pistes de rassemblement des Français, ou encore Le Pouvoir et la Vie, mémoires en plusieurs tomes publiées dans les années 1988-2006 où il retrace son expérience du pouvoir. Il s’essaie même au roman : en 2009, il publie La Princesse et le Président, une fiction sentimentale inspirée selon certains de la princesse Diana, qui fait grand bruit dans les médias.

En reconnaissance de sa contribution à la vie publique et à la littérature, Valéry Giscard d’Estaing est élu à l’Académie française en 2003 au fauteuil numéro 16 (celui de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor). Le 16 décembre 2004, il est officiellement reçu sous la Coupole, devenant le premier ancien chef d’État français à siéger chez les “Immortels”. Cette consécration académique salue son goût pour la langue française et scelle son statut d’homme de lettres autant que d’homme d’État.

À partir de 2004, Valéry Giscard d’Estaing décide de se mettre en retrait de la vie politique partisane. Ayant quitté la présidence de la région Auvergne et son mandat de conseiller régional, et après l’échec du référendum européen de 2005, il n’exerce plus de fonctions électives. En tant qu’ancien président de la République, il devient membre de droit du Conseil constitutionnel et commence à siéger régulièrement à cette instance à partir de 2004. Jusqu’en 2020, il participera épisodiquement aux délibérations du Conseil, apportant son expérience au contrôle constitutionnel des lois, bien que ses apparitions y soient discrètes.

Durant les années 2010, Valéry Giscard d’Estaing mène une vie plus paisible, partagée entre Paris et sa propriété d’Authon (Loir-et-Cher), tout en restant une voix consultée de temps à autre sur les grands sujets. Il intervient à l’occasion dans le débat public, par exemple pour soutenir Emmanuel Macron lors de l’élection de 2017 qu’il voit comme un héritier du centrisme libéral, ou pour mettre en garde contre certaines évolutions (il publie en 2012 un essai critique sur la construction européenne post-traité de Lisbonne). En 2017, il devient officiellement le président français vivant le plus âgé de l’histoire, en atteignant 91 ans et en surpassant le record de longévité de l’ancien président Émile Loubet. Une longévité exceptionnelle qui fait de lui le doyen des hommes politiques français.

Décès en 2020 et postérité

Le 2 décembre 2020, Valéry Giscard d’Estaing s’éteint à l’âge de 94 ans, emporté par des complications liées au Covid-19. Il décède dans sa propriété familiale d’Authon, entouré de ses proches. Sa disparition, en pleine pandémie mondiale, provoque une vague d’émotion en France et de nombreux hommages saluent la mémoire de l’ancien chef de l’État. En raison des restrictions sanitaires, ses funérailles se déroulent dans la plus stricte intimité familiale, conformément aux vœux de sa famille.

Les réactions affluent de tout le spectre politique, soulignant chacune une facette de son héritage. Le président Emmanuel Macron salue en lui un « serviteur de l’État, homme politique de progrès et de liberté » qui a « transformé la France » pendant son mandat. Des anciens présidents, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, aux dirigeants étrangers comme Angela Merkel, tous reconnaissent le rôle majeur qu’il a joué dans la modernisation de la société française et l’unification de l’Europe. Des témoignages rappellent son esprit visionnaire, son goût pour l’innovation (on cite son enthousiasme précoce pour l’informatique ou le minitel), et son style de gouvernance novateur pour l’époque.

La postérité de Valéry Giscard d’Estaing se dessine sous plusieurs angles. Sur le plan politique intérieur, il restera dans l’histoire comme le président qui a fait entrer la France dans la modernité sociale des années 1970. Ses grandes réformes – majorité à 18 ans, IVG, divorce sans faute, libéralisation des médias – ont profondément changé la vie des Français et sont aujourd’hui encore des acquis fondamentaux. Il est souvent considéré comme l’initiateur de la société française contemporaine, plus ouverte et libérale, prolongeant en cela mai 68 par des lois concrètes. Sa défaite de 1981, bien que douloureuse pour lui, a aussi ouvert la voie à l’alternance démocratique régulière entre la droite et la gauche, signe de la vitalité de la Ve République.

Sur le plan économique, le bilan de son septennat est plus contrasté (fin des Trente Glorieuses, montée du chômage), mais on reconnaît à Giscard d’Estaing le mérite d’avoir pris des décisions stratégiques de long terme, notamment dans le nucléaire et le TGV, qui ont renforcé la compétitivité de la France dans les décennies suivantes. Son nom reste attaché à l’idée de rigueur budgétaire et de maîtrise de l’inflation, valeurs redevenues d’actualité dans les périodes de crise.

Au niveau international et européen, Valéry Giscard d’Estaing est largement célébré comme l’un des architectes de l’Union européenne. Avec Helmut Schmidt, il forme un “tandem” franco-allemand historique, souvent comparé à celui de De Gaulle-Adenauer ou plus tard Mitterrand-Kohl. Le SME, le Conseil européen, l’élargissement aux pays du sud de l’Europe, portent sa marque. Son implication dans la tentative de Constitution européenne au début des années 2000 témoigne de sa continuité d’engagement pour une Europe politique forte. À ce titre, il a reçu le prix Charlemagne en 2003, récompensant son action au service de l’unification européenne.

Humaniste et intellectuel, Giscard d’Estaing laisse également l’image d’un homme cultivé, à l’aise dans les discussions philosophiques autant que dans les négociations techniques. Sa présence à l’Académie française jusqu’à sa mort symbolise cette dimension. Il aura été un des rares dirigeants à conjuguer carrière politique active et production littéraire.

Enfin, dans l’imaginaire collectif, “VGE” incarne une époque charnière, celle des années 1970, où la France passe de la tradition à la modernité. On se souvient de lui jouant de l’accordéon à la télévision, invitant des éboueurs à petit-déjeuner à l’Élysée, ou roulant en Peugeot 504 décapotable pour aller voter – autant d’images illustrant son souhait de rapprocher la présidence des Français. S’il a parfois été jugé trop sûr de lui, voire arrogant et distant par certains de ses contemporains, le temps a contribué à adoucir ces jugements. Valéry Giscard d’Estaing est aujourd’hui reconnu, y compris par des responsables politiques qui l’ont combattu, comme un grand réformateur et un patriote éclairé.

En définitive, l’héritage de Valéry Giscard d’Estaing se lit dans la jeunesse du visage de la France d’aujourd’hui : une France européenne, libérale sur le plan des mœurs, dotée d’institutions solides et tournée vers l’avenir. Près d’un demi-siècle après son élection, son empreinte demeure inscrite dans les lois et les esprits. Ainsi, l’histoire retient de lui un président français qui a su, en sept ans, faire bouger les lignes et ouvrir de nouvelles perspectives, confirmant a posteriori la formule qu’il aimait à répéter : « Le changement sans le risque ».

Date Événement marquant dans la vie de Valéry Giscard d’Estaing
2 février 1926 Naissance de Valéry Giscard d’Estaing à Coblence (Allemagne) dans une famille aisée.
Août 1944 À 18 ans, il participe activement à la Libération de Paris en tant que volontaire.
Avril 1945 Engagé dans la 1ère armée française, il est décoré de la Croix de guerre 39-45 pour bravoure.
1946 Admission à l’École Polytechnique (promotion X 1946) après des études brillantes.
1949-1951 Études à l’École nationale d’administration (ENA), promotion « Europe ».
1952 Entrée à l’Inspection générale des finances comme adjoint, puis inspecteur (1954).
1956 Élu député du Puy-de-Dôme pour la première fois, début de sa carrière politique parlementaire.
1959 Nommé secrétaire d’État aux Finances dans le gouvernement de Michel Debré (sous de Gaulle).
Janv. 1962 Devient ministre des Finances et des Affaires économiques à 36 ans (gouvernement Pompidou).
1966 Quitte le gouvernement ; fonde la Fédération nationale des Républicains Indépendants (FNRI).
1967 Maire de Chamalières (jusqu’en 1974) et président de la commission des Finances à l’Assemblée.
1969 De retour au ministère de l’Économie et des Finances sous la présidence Pompidou (jusqu’en 1974).
19 mai 1974 Élu Président de la République à 48 ans, face à François Mitterrand (50,8% des voix).
1974-1975 Grandes réformes sociétales : majorité abaissée à 18 ans, légalisation de l’IVG, divorce par consentement mutuel.
1975 Instauration du G6 (futur G7) à l’initiative de VGE, premier sommet à Rambouillet.
1977 Visite d’État de la Reine d’Angleterre en France ; Giscard reçoit Brejnev (URSS).
1978 Intervention militaire française à Kolwezi (Zaïre) pour sauver des otages européens.
1979 Scandale des « diamants de Bokassa » révélé ; soutien au coup d’État contre Bokassa (opération Caban).
10 mai 1981 Défait au second tour de l’élection présidentielle par François Mitterrand (48,2%).
21 mai 1981 Quitte la présidence de la République après un célèbre discours d’« Au revoir ».
1982 Élu conseiller général du Puy-de-Dôme (canton de Chamalières).
1984 Retrouve un siège de député (UDF) lors d’une élection partielle dans le Puy-de-Dôme.
1986 Devient président du Conseil régional d’Auvergne (mandat qu’il occupera jusqu’en 2004).
1989 Élu député européen et siège au Parlement de Strasbourg (jusqu’en 1993).
2002-2003 Préside la Convention sur l’avenir de l’Europe, rédigeant un projet de Constitution européenne.
11 déc. 2003 Élu membre de l’Académie française, où il succède à Léopold Sédar Senghor (fauteuil 16).
2004 Prend sa retraite de la politique active et commence à siéger au Conseil constitutionnel.
2 décembre 2020 Décès de Valéry Giscard d’Estaing à 94 ans (complications liées au Covid-19).
2020-2021 Hommages nationaux et internationaux soulignant son héritage de réformes et son rôle pro-européen.

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