René Coty est une figure clé de l’histoire politique française du XXe siècle. Deuxième et dernier président de la IVe République, il exerce ses fonctions de 1954 à 1959, période marquée par l’issue de la guerre d’Indochine, le déclenchement de la guerre d’Algérie et surtout par la crise politique de mai 1958. Modéré et apprécié pour son caractère affable, « président René Coty » est notamment resté dans les mémoires pour avoir fait appel au général Charles de Gaulle en 1958, événement qui aboutit à la transition vers la Ve République. Sa biographie témoigne d’un parcours long et discret : un brillant avocat normand, député puis sénateur sous la Troisième République, ministre de la Reconstruction sous la IVe République, élu président après un 13ᵉ tour de scrutin en 1953. Très soucieux de son image publique, il se fait aussi connaître pour son optimisme « En avant avec le sourire ».
Enfance, formation et début de carrière d’avocat
René Jules Gustave Coty naît le 20 mars 1882 au Havre, dans une famille normande d’enseignants et de petits artisans. Son père, Jean Coty, est professeur et directeur d’un collège, et il donne très tôt à René une éducation républicaine et laïque. Brillant élève, René obtient en 1899 un double baccalauréat en sciences et lettres avec mention « bien » et part étudier à l’université de Caen. Il y suit des cours de droit, de lettres et de philosophie, et en 1902 passe avec succès sa licence en droit ainsi qu’une licence en lettres et philosophie. La même année, il prête serment et s’inscrit au barreau du Havre. Spécialisé en droit maritime et commercial, il plaide tant au civil qu’au pénal. Animé par un sens aigu de la justice sociale, il se fait connaître dès ses débuts d’avocat en défendant en 1910 Jules Durand, syndicaliste accusé à tort de meurtre dans une affaire très médiatisée. Ce combat pour un ouvrier accusé à tort vaut à Coty d’obtenir la fonction de bâtonnier du barreau du Havre.
Parallèlement à sa carrière juridique, Coty cultive ses passions intellectuelles : il fonde en 1905 le « Cercle Vallongues », un club littéraire dans lequel il discute de philosophie et de littérature avec des amis. En 1907, il se marie à l’église Saint-Michel du Havre avec Germaine Corblet, issue d’une famille d’armateurs locaux. Le couple aura deux filles, Geneviève (née en 1908) et Anne-Marie (née en 1910), qui seront toutes deux partie prenante de sa vie familiale. Cette période normande est ainsi marquée par l’activité d’un jeune avocat engagé, séduit par les idéaux républicains de la IIIe République, tout en développant des contacts en politique locale.
Débuts au Havre (1908-1919)
À partir de 1908, René Coty s’implique activement dans la vie politique locale. Il est élu conseiller municipal du Havre sur la liste progressiste républicaine, poste qu’il occupe de 1908 à 1919. Très vite, il s’illustre comme un notable laïque et modéré, fidèle à l’héritage de figures républicaines telles que Gambetta ou Waldeck-Rousseau. En 1909, il prend notamment la présidence du comité havrais de la Ligue de l’enseignement, association militante pour l’école laïque. Parallèlement, sa carrière d’avocat lui permet de rencontrer de nombreux acteurs politiques, dont Jules Siegfried, député-maire du Havre et figure du parti radical. Au printemps 1902, jeune étudiant, Coty s’était engagé pour soutenir la réélection de Siegfried lors des législatives. Ces liens avec Siegfried marquent son entrée en politique : en 1923, après la mort du « vieux Jules », Coty lui succède comme député de la Seine-Inférieure (département dont fait partie Le Havre).
Député de la Seine-Inférieure (1923-1935)
Aux élections législatives de juin 1923, René Coty est élu député de la Seine-Inférieure, à 41 ans. Son élection se fait dans un contexte de recomposition politique. Après la Première Guerre mondiale, Coty est resté membre de l’Alliance démocratique puis du groupe des Républicains indépendants. Il s’éloigne progressivement du parti radical – qu’il juge trop anticlérical – et rejoint l’Union républicaine, un groupe centriste et modéré. Réélu en 1924 face à un candidat de gauche, il s’investit dans son travail parlementaire : on le retrouve dans plusieurs commissions, notamment celle de la marine marchande (logique pour un député d’un grand port comme Le Havre). Il acquiert alors une réputation de parlementaire consciencieux, modéré et soucieux des intérêts économiques et maritimes de sa région.
En décembre 1930, en pleine période d’instabilité ministérielle de la Troisième République, Coty est nommé sous-secrétaire d’État à l’Intérieur dans le gouvernement de Théodore Steeg. Il ne restera que dix jours à ce poste – pratique courante à l’époque – avant que le cabinet ne soit renversé. Réélu député en 1932, il quitte alors le barreau pour se consacrer à la vie politique, bien qu’il ouvre un cabinet de conseil juridique à Paris.
Sénateur (1936-1940)
Le 14 janvier 1936, René Coty est élu sénateur de la Seine-Inférieure, entamant ainsi un nouveau chapitre de sa carrière dans la haute assemblée. Cette année-là, il s’installe définitivement à Paris avec sa famille, au « quai aux Fleurs ». Au Sénat, il siège à la commission des finances et s’affirme en opposant du Front populaire. Il critique les politiques sociales menées par le nouveau gouvernement de gauche, qu’il juge excessives. Pendant son mandat (1936-1940), il réfléchit aussi à des réformes constitutionnelles : conscient des faiblesses du régime parlementaire (faute de stabilité des gouvernements), il soutient l’idée d’une Assemblée nationale plus forte et d’une limitation de l’anarchie ministérielle. Cette période s’achève de façon dramatique avec la débâcle de 1940 : le 10 juillet 1940, le sénateur Coty vote « les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain », acte qui met fin à la Troisième République. Comme de nombreux parlementaires, il se retire ensuite de la vie politique active, se tenant à l’écart de Vichy – bien que, selon les historiens, il aurait travaillé en 1943 avec d’autres sénateurs sur un projet de transition politique vers la Libération.
Seconde Guerre mondiale et Libération (1940-1945)
La Seconde Guerre mondiale bouleverse la carrière politique de Coty, comme celle de presque tous ses contemporains. Après avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain, il n’occupe plus de mandat entre 1940 et 1944. Son vote lui vaut, après la Libération, de se voir frappé d’inéligibilité automatuir (comme tous ceux ayant accepté Pétain). Cependant, un jury d’honneur estime que Coty s’est toujours montré hostile au régime de Vichy et le réhabilite en octobre 1945, levant son inéligibilité. Ainsi, il peut se présenter aux élections qui suivent immédiatement la Libération.
Lors des législatives d’octobre 1945 et juin 1946, Coty est de nouveau élu député de la Seine-Inférieure, siégeant au sein du groupe des Républicains indépendants. Il participe aux deux Assemblées constituantes chargées de rédiger la nouvelle Constitution de la IVe République. Son rôle en tant que député redevient actif : il prend position sur les grands problèmes d’après-guerre, toujours dans une perspective modérée. En novembre 1946, il est réélu député pour la nouvelle Assemblée nationale issue de la quatrième Constitution. Parallèlement, sa stature politique le conduit à assumer des fonctions gouvernementales au sortir de la guerre.
IVe République : Reconstruction et rôle parlementaire (1947-1953)
Avec l’avènement de la IVe République en 1946, René Coty entre enfin au gouvernement. Le 24 novembre 1947, il est nommé ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme dans le premier cabinet de Robert Schuman. Il conserve ce portefeuille à l’été 1948, d’abord dans le gouvernement André Marie, puis dans le second cabinet de Robert Schuman. À ce titre, il gère une mission essentielle : organiser la reconstruction du pays après la guerre. Il s’intéresse tant à la remise en état des infrastructures qu’à l’urbanisme des villes dévastées. Son passage à la Reconstruction est jugé efficace et sans scandale.
À l’automne 1948, après les élections sénatoriales, René Coty retrouve son siège de parlementaire, cette fois au Conseil de la République (nouvel équivalent du Sénat). Profitant de sa popularité montante et de son expérience, ses pairs l’élisent vice-président du Conseil de la République à partir de novembre 1948. Il conservera cette fonction pendant plusieurs années : réélu en 1952, il reste vice-président jusqu’à son départ pour l’Élysée. Dans ce rôle, il aide à animer le débat législatif et participe à l’Union parlementaire européenne (dont il devient vice-président en 1949). En 1952, il écrit dans son journal intime que sa « candidature à l’Élysée semble sérieusement envisagée par des gens sérieux », montrant ainsi qu’il n’est pas sans savoir qu’il figure dans les solutions de rechange du moment. Au sein de la IVe République, Coty s’impose progressivement comme une personnalité consensuelle de centre-droite : sa modération naturelle et sa réputation d’honnêteté lui valent le respect de beaucoup.
Élection présidentielle de 1953
La fin de l’année 1953 voit René Coty atteindre le sommet de sa carrière : il est élu président de la République. Le président sortant Vincent Auriol ne se représente pas, et le Congrès du Parlement réuni à Versailles (17-23 décembre 1953) peine à dégager un successeur. Au cours des premiers tours de scrutin, aucun des leaders politiques traditionnels ne parvient à la majorité. Au douzième tour, dans une atmosphère de blocage parlementaire, une solution de compromis se dessine autour d’un homme jusque-là discret : le sénateur René Coty, vice-président du Conseil de la République, qui n’a jamais pris publiquement position sur la CED (Communauté européenne de défense) et évite ainsi les clivages du moment. Son absence lors du vote sur la CED en 1952 – en raison d’une hospitalisation – est même un atout aux yeux des parlementaires car il ne fait pas l’objet de rejet par l’une ou l’autre faction.
Au treizième tour de scrutin, le 23 décembre 1953, l’impasse est rompue : René Coty remporte l’élection présidentielle avec 477 voix sur 871. Dans ce vote final, il dépasse notamment le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, pourtant arrivé en tête au tour précédent, et les deux chefs de file de la droite. Ce résultat témoigne de son image d’homme modéré acceptable par le centre et la droite. Jean Coty, élu à 72 ans, devient ainsi le second et dernier président de la IVe République. Son investiture a lieu le 16 janvier 1954, après une cérémonie de passation des pouvoirs solennelle au Palais de l’Élysée avec Vincent Auriol.
Mandat présidentiel (1954-1959)
De constitution, les pouvoirs du président sous la IVe République sont largement symboliques : la séparation stricte des institutions confie l’essentiel de l’exécutif au président du Conseil (équivalent du Premier ministre) et à l’Assemblée nationale. René Coty découvre vite les limites de son rôle. Cependant, sa personnalité affable et son statut moral d’ancien « sage du parlementarisme modéré » lui valent d’être généralement bien vu du public. Les Français s’attachent à lui et à son épouse Germaine, devenus des personnages populaires. En effet, malgré ses pouvoirs réduits, Coty manifeste souvent une grande sollicitude : il assiste personnellement à des événements sportifs (comme des finales de rugby ou de football) et fait preuve de dignité dans les cérémonies officielles. Sa devise non officielle « En avant avec le sourire » reflète son tempérament optimiste.
Sur le plan politique, il navigue entre plusieurs gouvernements successifs. Il assiste à la chute du gouvernement Laniel (fin 1954), puis nomme Pierre Mendès France à la présidence du Conseil en février 1954. Mais en janvier 1956, après les élections législatives de novembre 1955, il prend une décision surprenante : il refuse de nommer Pierre Mendès France, chef du mouvement de centre-gauche, et préfère désigner Guy Mollet (SFIO) comme président du Conseil. Cette décision, contestée à gauche, s’explique par sa volonté de maintenir l’équilibre politique ; il reproche à Mendès France d’avoir trop critiqué l’Assemblée. L’ère Mollet (1956-1957) coïncide alors avec une approche négociée de la guerre d’Algérie (programme du Front républicain), mais la guerre empire et plonge le pays dans une crise profonde. Au cours de son mandat, René Coty voit également la fin de la guerre d’Indochine (avec la défaite française à Dien Bien Phu en mai 1954) et le début de la guerre d’Algérie en 1954. Ces événements internationaux marquent durablement son quinquennat.
Dans l’ensemble, sa présidence René Coty (1954-1959) reste placée sous le signe de la fermeté de caractère et de la modération. Il évite les excès oratoires : ses discours officiels sont plutôt convenus, mais empreints de sagesse. L’une de ses décisions les plus célèbres n’est pas un discours, mais un message extraordinaire aux assemblées parlementaires le 29 mai 1958, un recours jusqu’alors jamais employé. Dans ce message, il déclare agir face à « la situation la plus grave qu’ait connue le pays » pour inviter Charles de Gaulle à prendre le pouvoir. Cette prise de position, solennelle et en partie prononcée à l’Assemblée nationale, sauve la France d’une implosion politique (Mendès France dira plus tard que l’Assemblée « s’est couchée »). Finalement, la confiance accordée à de Gaulle le 1ᵉʳ juin 1958 montre l’énorme impact de l’acte de Coty.
Crise de mai 1958 et appel à De Gaulle
L’année 1958 est une épreuve majeure pour René Coty. En mai, l’Algérie française est secouée par un putsch militaire à Alger, orchestré par des généraux insoumis qui souhaitent imposer De Gaulle au pouvoir. Craignant un coup d’État et le déchirement du pays, le gouvernement républicain démissionne le 29 mai 1958. Dans ce contexte de panique et de paralysie institutionnelle, le président Coty prend une décision capitale : le 29 mai 1958, il lance un appel solennel au général Charles de Gaulle, qu’il qualifie de « plus illustre des Français ». Ce message aux deux chambres du Parlement est lu par leur président André Le Troquer. Coty y exige que, si le Parlement refusait de donner les pleins pouvoirs au général, il démissionnerait aussitôt. Ce coup de force de la présidence – sans précédent – pousse les députés et sénateurs hésitants à ne pas contrarier le président de la République.
Le même jour, selon les historiens et les archives, Coty obtient du général son accord pour former un gouvernement d’union nationale. Comme le rapporte la Fondation Charles-de-Gaulle, il fait appel au 29 mai au général pour « former un gouvernement et réformer les institutions ». Soutenu par un climat d’urgence, de Gaulle obtient finalement la confiance de l’Assemblée le 1ᵉʳ juin 1958 et reçoit les pleins pouvoirs pour six mois. Grâce à ce coup d’éclat de René Coty, la France échappe de justesse à l’anarchie et à l’éclatement potentiel. Ce moment – souvent résumé par la formule « appel au plus illustre » – est l’action la plus marquante de sa présidence et reste dans l’histoire comme le début de la fin de la IVe République.
Transition vers la Ve République
Le choix du général de Gaulle entraîne la réforme des institutions. Un référendum approuve largement la nouvelle Constitution de la Ve République (4 octobre 1958). Selon l’article 91 de la nouvelle Constitution, « les pouvoirs du président de la République en fonction expireront à la suite de la proclamation de l’élection de son successeur ». Ainsi, après la victoire électorale de Charles de Gaulle en décembre 1958, René Coty cède solennellement son fauteuil. Le 8 janvier 1959, jour de l’investiture de de Gaulle au pouvoir, le président Coty remet officiellement l’Élysée à son successeur. Il s’agit symboliquement de la fin de la IVe République qu’il avait incarnée. Dans les dernières semaines de sa présidence, Coty reste très actif dans la passation des dossiers et adopte une posture digne, rappelant qu’il accomplit son devoir constitutionnel jusqu’au bout.
Avec ce geste, René Coty restera dans l’histoire comme « le président de la France juste avant De Gaulle ». Il a assuré la transition entre deux républiques en respectant les procédures, sans provoquer de rupture violente. Cette passation de pouvoirs met un point final à un régime politique qu’on qualifiera rétrospectivement de faible et instable. De fait, son mandat aura vu le renversement de huit gouvernements en cinq ans – un symptôme des difficultés du régime parlementaire – et enfin l’avènement d’un exécutif fort. Coty se retire alors de la vie politique au sommet, après avoir assuré une transition cruciale pour la nation.
Fin de carrière et décès
Après l’Élysée, René Coty ne retrouve pas de mandat électif. Par tradition, il devient membre de droit du Conseil constitutionnel en tant qu’ancien président. Il siège au Conseil jusqu’à sa mort, sans exercer de rôle public marquant. Il vit retiré à Paris et continue de suivre l’actualité politique avec intérêt, restant un témoin de la nouvelle Ve République qu’il a contribué à faire naître.
Le 22 novembre 1962, René Coty s’éteint au Havre, dans sa ville natale, à l’âge de 80 ans. Sa disparition donne lieu à des funérailles nationales discrètes : on se souvient de lui comme d’un homme de devoir qui, selon les mots des archives, a su « demeurer fidèle à sa terre natale de Normandie tout en défendant de nombreuses convictions fortes ». Son entrée au Panthéon n’est pas envisagée, mais son action pour la République lui vaut le respect bipartisan. Jusqu’à la fin de ses jours, sa devise personnelle « En avant avec le sourire » reste l’image d’un président à l’abri de la défaite morale malgré les tourmentes.
Vie personnelle et image publique
Sur le plan personnel, René Coty a toujours cultivé une image de dignité et de simplicité. Issu d’une famille de professeurs, il était marqué par la tradition laïque et républicaine. Les historiens décrivent souvent Coty comme un homme réservé, modeste et droit, de nature douce et de parole mesurée. Il ne cherchait pas à se mettre en avant et n’avait pas l’éloquence flamboyante de certains de ses contemporains. Fidèle à ses principes de laïcité et de démocratie, il s’est toujours revendiqué héritier des grands républicains du XIXᵉ siècle. Son entourage témoignait de sa capacité à écouter et de sa gentillesse : sa devise « En avant avec le sourire » n’était pas qu’un slogan, mais reflétait son optimisme et sa disponibilité pour le public.
Marié à Germaine Corblet en 1907, il forma un couple solide et assez discret. Germaine était très impliquée dans les affaires de son mari, au point de devenir une figure populaire à son côté. Leur vie privée fut marquée par le bonheur familial (deux filles et neuf petits-enfants) mais aussi par la tragédie lorsque Germaine décède en novembre 1955, au milieu du premier septennat de son mari. Ce deuil a profondément affecté le président Coty, qui resta en retrait durant plusieurs semaines après la perte de son épouse. Cependant, il sut reprendre le travail avec fermeté, ne laissant pas transparaître en public son chagrin. Après 1955, sa santé décline lentement – il sera opéré de la prostate en 1953 – mais il continue de remplir ses devoirs jusqu’en 1959.
Physiquement, René Coty était de taille moyenne, toujours bien mis, portant souvent le complet et la cravate blanche sous l’habit présidentiel. Ses lunettes et son sourire facile lissaient son image austère de haut fonctionnaire. L’opinion publique le voit comme un « sage » du régime : ni populiste ni autoritaire, mais un homme honnête à qui on confiait la charge d’assurer la continuité. Ses discours présidentiels, toujours prudents, ne feront pas date dans les anales, si ce n’est le message du 29 mai 1958, mais sa stature morale lui confère une légitimité dans les moments de crise.
Héritage politique et postérité
René Coty laisse un héritage surtout symbolique. Il est surtout commémoré pour avoir été le dernier président de la IVe République, un régime dont l’histoire jugera la faiblesse mais aussi l’esprit démocratique. Son action décisive de 1958 lui donne une place particulière : il est celui qui, par son appel au général de Gaulle, prépare la transition vers la Ve République. Les archives nationales le résument ainsi : « Président de la IVe République (1954-1959), [Coty] se prononce pour le retour du général de Gaulle après la crise du 13 mai 1958… et lui abandonne ses fonctions présidentielles lorsque sont mises en place les institutions de la Ve République ». Cette citation souligne que son héritage principal est justement d’avoir permis la naissance du régime actuel.
Dans la mémoire collective, Coty reste un peu effacé face aux géants comme de Gaulle ou Mendès France, mais son image de modération et de sagesse persiste. Certains le surnomment d’ailleurs « le sage de la République », expression tirée du titre d’une biographie récente qui insiste sur sa discrétion et sa fiabilité. Dans l’histoire politique française, il symbolise la fin d’une époque parlementaire traditionnelle avant le tournant gaulliste.
Son nom a été donné à plusieurs lieux publics pour le commémorer. On trouve par exemple des rues et avenues René-Coty dans plusieurs villes françaises. À Menton, où il avait passé de nombreux étés et qui l’a fait citoyen d’honneur, une plaque rappelle son souvenir. Celle-ci porte notamment une de ses citations (« Pour connaître Menton, il ne faut pas seulement y passer, il faut y séjourner ») et indique son titre de président de la République et d’« hôte de Maria Sérénia 1956-1958 »【49†】. Cette plaque photographiée sur les murs de la ville illustre la gratitude locale envers le chef de l’État qui y séjourna souvent. De même, des cérémonies commémoratives soulignent sa contribution à l’histoire républicaine.
Enfin, sur le plan institutionnel, René Coty est honoré par son inscription au Conseil constitutionnel : les anciens présidents de la République y siègent de droit, ce qui garantit une reconnaissance officielle de leur rôle. Plusieurs historiens et politologues soulignent que son « discours Coty » du 29 mai 1958 reste un modèle d’usage judicieux de la Constitution pour sortir d’une crise. En somme, son héritage est celui d’un homme d’État modeste qui a su, au terme de sa vie politique, faciliter le cours de l’histoire politique française en évitant le pire.
Chronologie récapitulative
Date | Événement |
---|---|
20 mars 1882 | Naissance de René Coty au Havre (Seine-Inférieure). |
1899 | Baccalauréats en sciences et en lettres (mention bien), université de Caen. |
1902 | Licences en droit et en lettres/philosophie (Caen); prêtant serment d’avocat la même année. |
21 mai 1907 | Mariage avec Germaine Corblet (deux filles naîtront en 1908 et 1910). |
1910 | Défense en justice du syndicaliste Jules Durand, acquitté du meurtre d’un ouvrier. |
1908-1919 | Conseiller municipal du Havre (Liste progressiste). |
1913-1942 | Conseiller général de Seine-Inférieure (ancien nom de Seine-Maritime). |
1914-1918 | Service militaire : volontaire durant la Première Guerre mondiale (bataille de Verdun). |
1923 | Élu député de la Seine-Inférieure (succède à Jules Siegfried). |
1924, 1932 | Réélu député (1924) ; quitte le barreau pour se consacrer au Parlement. |
13 décembre 1930 | Sous-secrétaire d’État à l’Intérieur dans le gouvernement Steeg (10 jours). |
1936 | Élu sénateur de la Seine-Inférieure. |
10 juillet 1940 | Vote en faveur des pleins pouvoirs à Pétain (coup d’État). |
1941-43 | Retrait de la vie publique sous le régime de Vichy. |
11 octobre 1945 | Jury d’honneur réhabilite Coty de son inéligibilité (suite à son vote de 1940). |
21 octobre 1945 – 10 novembre 1946 | Élu député de la Seine-Inférieure aux deux Assemblées constituantes (républicain indépendant). |
24 novembre 1947 – 11 septembre 1948 | Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (gouvernements Schuman et André Marie). |
Novembre 1948 | Élu membre du Conseil de la République ; devient vice-président du Conseil (ex-Sénat). |
3 juillet 1949 | Président de l’Union parlementaire européenne. |
1952 | Vice-président du Conseil de la République reconduit ; envisage sa candidature à l’Élysée. |
23 décembre 1953 | Élu président de la République (IVe République) au 13ᵉ tour de scrutin. |
16 janvier 1954 | Investiture officielle au palais de l’Élysée, succède à Vincent Auriol. |
12 novembre 1955 | Décès de l’épouse Germaine Coty (Rambouillet). |
Janvier 1956 | Refus de nommer Pierre Mendès France président du Conseil, désigne Guy Mollet. |
29 mai 1958 | Par message au Parlement, fait appel au général de Gaulle pour former un gouvernement. |
4 octobre 1958 | Promulgation de la Constitution de la Ve République. |
8 janvier 1959 | Transfert des pouvoirs à Charles de Gaulle (nouveau président). |
22 novembre 1962 | Décès de René Coty au Havre (à 80 ans). |